dimanche 30 mai 2021

Au pays de Rance – 9 – Les jours heureux et sympas de la nation rançaise

Au pays de Rance, la vie politique avait toujours été simple. Depuis la nuit des temps ancestraux de la préhistoire régnaient deux partis qui s'affrontaient avec véhémence à chaque élection. Les débats étaient cinglants avant le vote : « ha oui hooo ! » ; « ha nan hééé ! ». Une véritable boucherie d'interjections.

Et puis après, une fois élus, les deux partis faisaient la même politique, à savoir : donner un vieux bout de fromage pasteurisé et une claque en disant : « haaaa désolai, ha pu soussous, soriço, soriço, soriço cocos ! »

Le premier parti se nommait Les Chitoumous. Leur programme : réformer la Rance dans une perspective moyenne et raisonnable. Le second parti se nommait Les Chitrodurs. Leur ambition : réformer la Rance dans une dynamique modéré et convenable. Chaque parti était convaincu d'incarner le progrès. Mais plus le temps passait, plus les Rançais les prenaient pour des clowns finis : « haltromarranlolilole blanbonnéné ! ».

Un jour, un hurluberlu fondit un nouveau parti qui voulait bousculer les clivages du passé dépassé. Cette nouvelle coalition, appelé Les Chiplincentres et mené par Baroudececourt, affichait un programme fort pour la Rance : conjuguer la diversitude au pluriel dans une approche globale d'individualisationnement. Les Rançais n'y comprenaient rien mais comme c'était nouveau, c'était sympa.

Aux élections du Chef suprême et exceptionnel des Rançais, la surprise fut de taille. Baroudececourt fut plébiscité et obtint ensuite une majorité écrasante au Parlement des Élus magnifiques de Rance. On ne comprenait pas plus leur programme mais c'était nouveau, donc c'était sympa.

Malheureusement, les choses reprirent comme avant. Le ver était dans le fruit : tous les élus Chiplincentres venaient des deux anciens partis. Ils firent des compromis à n'en plus finir qui aboutirent à une politique qui n'avait de nouveau que la date : un bout et demi de fromage et une claque et demi.

Les Rançais regardaient désolés sur leurs écrans ses élus déjà vus qui se croyaient modernes. On aurait dit qu'ils pleuraient devant des gosses attardés contents d'eux-mêmes. Ces clowns relookés leur semblaient aussi attristants que des poissons morts dans des slips.

Ils s'en retournèrent à leurs tondeuses, leurs chips et leurs ouafouafs dans leurs pavillons en plâtre. Après tout, c'était peut-être ça l'essentiel, tous ces petits bonheurs sous cellophane.

Les Chiplincentres avaient totalement vidé de leur substance les deux anciens clans, Chitoumous et Chitrodurs. Il n'y avait plus d'alternative, plus d'espoir, le grand désert des idées recouvert de mots creux et flasques : « halprogrè-bienbein » ; « forcésolidarithé-nouvèlétranquilou » ; « ensamblossi-maipatrokanmème ». Des brassées de perles de concepts mous et visqueux.

La nouvelle élection du Chef suprême et exceptionnel des Rançais revint et on ne voyait pas comment on allait pouvoir s'amuser un peu. On mettait de l'espoir dans un parti tout neuf appelé Le Rassemblement Patrimonial dont le projet politique était de réinventer une dynamique d'inclusion totale par la revivification d'une société d'exclusion. Sa cheffe, Ririne Lepeignapapa, était cruche comme un seau mais ça permettait aux Rançais de mieux s'identifier. La curiosité des Rançais et des médias s'émoustillait de plus en plus et on devait bien convenir d'une chose évidente et fatale : c'était nouveau, donc c'était sympa.

De fil en aiguille, les Rançais s'habituèrent à ce nouveau parti : « hapasiméchandidon, ho la la, ho hé » qu'on disait. Et d'aiguille en images, le Rassemblement Patrimonial remporta haut la main les élections.

Cette fois, la vie des Rançais changea radicalement. Enfin surtout pour cinq pour cent d'entre eux qui furent envoyés sur la Lune dans un tupperware géant. Pour le reste, les changements furent surtout cosmétiques. Ainsi, dans les écoles rançaises, chaque matin, on chantait : « Zig zig zig, aye aye aye, zigaye zigayou ! ». Dans les administrations, on affichait le portrait de Ririne avec une permanente brushing balayage soufflé. Aux frontières de la Rance, on avait positionné des gardes avec tapettes à souris contre les envahisseurs mangeurs du fromage des Rançais.

Mais à force d'inclusion excluante, à force de ne plus rester qu'entre soi au milieu des pavillons à crédit, les Rançais devinrent de plus en plus crétins, énormément crétins, formidablement crétins. L'émission télé favorite n'était plus « Apoiletouteu-lachoukroute » mais « Dukudukuduku ». Les marchands de saucisses en gélatine faisaient des bénéfices considérables et les gens devenaient gros, difformes et consanguins. Les eaux usés débordaient des égouts et une odeur âcre se répandit partout avec un lot de maladies nouvelles.

En à peine un an, les Rançais trépassèrent asphyxiés par l'odeur d'excrément brun putrescent. Seuls quelques résistants Chitoumous et Chitrodurs survécurent et se réunirent ensemble pour bâtir une nouvelle Rance : le monde de l'Apeuprèdaprè. Leur nouvelle vision d'avenir : réunir la variété dans la singularité. C'était simple, c'était nouveau. C'était sympa. Mais on n'y comprenait rien.



@saucissepoulet