jeudi 12 août 2021

Au pays de Rance – 10 – La révolte incroyable des Antissussucres

 Un jour, au temps jadis du pays de Rance, les gens vivaient dans le bien-être absolu : ils avaient des Phonephones, du Huifi et des écrans plats qu'ils regardaient en sirotant des sirops en sucre tout en s'empiffrant de gâteaux à l'huile.

C'était l'époque du Grand Bonheur rançais. Pas de travail mais pas de retraite. Pas de dialogue et pas de projets. Tout allait normalement normal dans une normalitude normalisatoire. Sur les écrans, on pouvait voir des émissions subtiles sur l'alliage féérique d'un bermuda jaune et d'un pull marron, mais aussi des débats entre intellectuels siliconés sur la délicate question de l'eau qui mouille, ou encore des séries sur des personnes qui regardaient la télé.

Le temps était à la fraternité, l'humeur en fête et si, par dessus cela, l'équipe nationale de curling gagnait la Coupe du monde, alors là c'était l'explosion de joie et d'achats de guimauve à la gélatine.

Un soir d'été, Gningnin, un Rançais tout à fait ordinaire qui vivait à Dreuleuleu, fut totalement désappointé de découvrir que son gâteau Kinebeubeure à la banane sucrée avait un gout salé : « ha mé ho mé hou mé koi mé ho ! Poualalalala ! ». Il décida d'écrire sur Faceplouc son indignation des plus légitimes : « Kinebeubeure, ha pa bon, ha pululu ! »

Une semaine plus tard, quelle ne fût pas son ébahissement lorsque Gningnin découvrit que plusieurs Rançais avaient traversé le même traumatisme que lui : du sel dans les gâteaux Kinebeubeure ! Le goût sucré était totalement absent et recouvert par un piquant salin. Un groupe Faceplouc se constitua et les avis négatifs affluaient de toutes parts : « Ha Kinebeubeure, ha poualala ! ».

La société Kinebeubeure mit tout en œuvre pour obtenir une explication et trouver une solution. Tous les chercheurs, les savants et les scientifiques travaillèrent ardemment et d'arrache-pied pour trouver un remède. Ce fut rapidement chose faite et le dirigeant de Kinebeubeure fit une déclaration officielle : « Ha phini, ha tinkiète, ha cébon, mangemange Kinebeubeure ! ».

Mais tout le monde ne fut pas convaincu. Le produit miracle qui avait guéri les gâteaux se dénommait Sussucre et beaucoup de Rançais étaient très méfiants vis-à-vis de lui. Certains disaient qu'il faisait pousser les cheveux, d'autres démontraient qu'il faisait faire des rêves merveilleux de bilans comptables. De plus, des Rançais proclamaient haut et fort qu'ils étaient des êtres libres et indépendants et qu'ils ne se laisseraient jamais entrainer dans cette dictature du Sussucre. Des citoyens Rançais allaient même à comparer l'obligation du Sussucre aux pires heures de l'histoire de la saucisse allemande.

Tous ces personnes attachées à leur liberté de penser et de vivre appelaient au boycott de la marque Kinebeubeure et manifestaient dans les rues au cri de « Kinebeubeure, Kinebeubeure, beubeubeuh, bouboubouh ! ». Ils prirent le nom des Antissussucres et se fédérèrent en collectif de combat : ils balançaient des brioches sur les députés et des sacs de glucose sur les préfectures.

La direction de Kinebeubeure prit la mesure du soulèvement et engagea toute une campagne pour montrer les bienfaits du Sussucre pour le bonheur de l'humanité : « Sussucre la la, Sussucre youpa, Sussucre ouah ouah ! ».

Mais cela ne fit que raviver davantage la flamme des Antissussucres qui révélaient désormais que le Sussucre entrainait le réchauffement climatique et la crevaison des trottinettes.

Jusque-là prudent, le Président Mama décida de prendre la parole et intervint dans tous les écrans de Rance. Avec un ton rassurant et bienveillant, il dégusta un gâteau Kinebeubeure en entier et en direct. Les Rançais étaient rassurés dans l'ensemble, mais les résistants Antissussucres en concluaient juste que Mama n'était qu'une marionnette manipulée par un collectif de ragondins.

Les Antissussucres ne lâchèrent jamais le combat pour la vérité et se montrèrent déterminés comme des lions enragés en manque de Huifi. La marque Kinebeubeure se résolut à fabriquer des gâteaux 100% sans Sussucre qui avaient encore un goût salé, ce qui était la preuve ultime qu'ils étaient sécurisés. Cela convainquit les Antissussucres qui célébrèrent leur victoire en mangeant un gâteau géant offert par Kinebeubeure.

Peu à peu et durablement, les Antissussucres reprirent leurs habitudes de consommation et se gavèrent à nouveau de gâteaux à l'huile Kinebeubeure. Les esprits se calmèrent et un nouveau scandale alimentaire vint faire oublier l'autre et ainsi de suite.

Les Antissussucres ne vécurent pas longtemps et moururent tous avec les artères bouchées. Tel en avait décidé leur liberté irréductible. Ce fut une fin digne, une fin levée, debout, une fin grandiose et rançaise.



@saucissepoulet

dimanche 30 mai 2021

Au pays de Rance – 9 – Les jours heureux et sympas de la nation rançaise

Au pays de Rance, la vie politique avait toujours été simple. Depuis la nuit des temps ancestraux de la préhistoire régnaient deux partis qui s'affrontaient avec véhémence à chaque élection. Les débats étaient cinglants avant le vote : « ha oui hooo ! » ; « ha nan hééé ! ». Une véritable boucherie d'interjections.

Et puis après, une fois élus, les deux partis faisaient la même politique, à savoir : donner un vieux bout de fromage pasteurisé et une claque en disant : « haaaa désolai, ha pu soussous, soriço, soriço, soriço cocos ! »

Le premier parti se nommait Les Chitoumous. Leur programme : réformer la Rance dans une perspective moyenne et raisonnable. Le second parti se nommait Les Chitrodurs. Leur ambition : réformer la Rance dans une dynamique modéré et convenable. Chaque parti était convaincu d'incarner le progrès. Mais plus le temps passait, plus les Rançais les prenaient pour des clowns finis : « haltromarranlolilole blanbonnéné ! ».

Un jour, un hurluberlu fondit un nouveau parti qui voulait bousculer les clivages du passé dépassé. Cette nouvelle coalition, appelé Les Chiplincentres et mené par Baroudececourt, affichait un programme fort pour la Rance : conjuguer la diversitude au pluriel dans une approche globale d'individualisationnement. Les Rançais n'y comprenaient rien mais comme c'était nouveau, c'était sympa.

Aux élections du Chef suprême et exceptionnel des Rançais, la surprise fut de taille. Baroudececourt fut plébiscité et obtint ensuite une majorité écrasante au Parlement des Élus magnifiques de Rance. On ne comprenait pas plus leur programme mais c'était nouveau, donc c'était sympa.

Malheureusement, les choses reprirent comme avant. Le ver était dans le fruit : tous les élus Chiplincentres venaient des deux anciens partis. Ils firent des compromis à n'en plus finir qui aboutirent à une politique qui n'avait de nouveau que la date : un bout et demi de fromage et une claque et demi.

Les Rançais regardaient désolés sur leurs écrans ses élus déjà vus qui se croyaient modernes. On aurait dit qu'ils pleuraient devant des gosses attardés contents d'eux-mêmes. Ces clowns relookés leur semblaient aussi attristants que des poissons morts dans des slips.

Ils s'en retournèrent à leurs tondeuses, leurs chips et leurs ouafouafs dans leurs pavillons en plâtre. Après tout, c'était peut-être ça l'essentiel, tous ces petits bonheurs sous cellophane.

Les Chiplincentres avaient totalement vidé de leur substance les deux anciens clans, Chitoumous et Chitrodurs. Il n'y avait plus d'alternative, plus d'espoir, le grand désert des idées recouvert de mots creux et flasques : « halprogrè-bienbein » ; « forcésolidarithé-nouvèlétranquilou » ; « ensamblossi-maipatrokanmème ». Des brassées de perles de concepts mous et visqueux.

La nouvelle élection du Chef suprême et exceptionnel des Rançais revint et on ne voyait pas comment on allait pouvoir s'amuser un peu. On mettait de l'espoir dans un parti tout neuf appelé Le Rassemblement Patrimonial dont le projet politique était de réinventer une dynamique d'inclusion totale par la revivification d'une société d'exclusion. Sa cheffe, Ririne Lepeignapapa, était cruche comme un seau mais ça permettait aux Rançais de mieux s'identifier. La curiosité des Rançais et des médias s'émoustillait de plus en plus et on devait bien convenir d'une chose évidente et fatale : c'était nouveau, donc c'était sympa.

De fil en aiguille, les Rançais s'habituèrent à ce nouveau parti : « hapasiméchandidon, ho la la, ho hé » qu'on disait. Et d'aiguille en images, le Rassemblement Patrimonial remporta haut la main les élections.

Cette fois, la vie des Rançais changea radicalement. Enfin surtout pour cinq pour cent d'entre eux qui furent envoyés sur la Lune dans un tupperware géant. Pour le reste, les changements furent surtout cosmétiques. Ainsi, dans les écoles rançaises, chaque matin, on chantait : « Zig zig zig, aye aye aye, zigaye zigayou ! ». Dans les administrations, on affichait le portrait de Ririne avec une permanente brushing balayage soufflé. Aux frontières de la Rance, on avait positionné des gardes avec tapettes à souris contre les envahisseurs mangeurs du fromage des Rançais.

Mais à force d'inclusion excluante, à force de ne plus rester qu'entre soi au milieu des pavillons à crédit, les Rançais devinrent de plus en plus crétins, énormément crétins, formidablement crétins. L'émission télé favorite n'était plus « Apoiletouteu-lachoukroute » mais « Dukudukuduku ». Les marchands de saucisses en gélatine faisaient des bénéfices considérables et les gens devenaient gros, difformes et consanguins. Les eaux usés débordaient des égouts et une odeur âcre se répandit partout avec un lot de maladies nouvelles.

En à peine un an, les Rançais trépassèrent asphyxiés par l'odeur d'excrément brun putrescent. Seuls quelques résistants Chitoumous et Chitrodurs survécurent et se réunirent ensemble pour bâtir une nouvelle Rance : le monde de l'Apeuprèdaprè. Leur nouvelle vision d'avenir : réunir la variété dans la singularité. C'était simple, c'était nouveau. C'était sympa. Mais on n'y comprenait rien.



@saucissepoulet

mercredi 17 février 2021

Au pays de Rance – 8 – Tatatane ou Le Terrible Fantôme du web

 Il y avait au pays de Rance un village qu'on appelait Pitipitipois dans lequel vivait Tatatane, un jeune homme qui était livreur de choses et de trucs. Tatatane était grand et fin avec un ventre et un derrière et une casquette rouge. Bref, il se croyait original comme tout Rançais et faisait chaque jour son petit caca comme eux en s'essuyant avec du papier Lidoule.

Tatatane se prétendait grand voyageur mais, à Pitipitipois, la vie était triste comme une chaussette sale et seule. Il n'y avait rien. Le centre-ville était mort, les gens étaient morts, le dynamisme néo-ruralo-urbain était mort. C'était comme partout pareil. Des pavillons, de la pelouse et la télé.

Tatatane était un être que la modernité avait placé à l'avant-garde du progrès florissant. Il possédait un merveilleux ordinateur connecté au réseau Huifi fibroscopique. Il jouait à des jeux mirifiques et enchantés dans sa chambre qui sentait un peu le renfermé.

Tatatane était content. La dégustation de cordons bleuets au ferrocyanure de soude lui inspirait des vers romantiques qu'il déclamait en reniflant : « Miamiamiam hmmm bon, hmmm la la ! ». Le jour, il livrait des bidules à des gens, le soir il rentrait jouer à Fordelanaïte. Cinq jours sur sept. Tranquille tranquille. Dans l'année, cinq semaines de vacances. Tranquille tranquille. Et puis l'année d'après, la même chose. Tranquille tranquille.

Tatatane, de toute façon, n'aimait pas trop les vacances car il disait « haaaa mennui ha mennui... ». Et il retournait gaiment livrer des machins et des bazars en jouant sur son Phonephone au volant.

Tatatane était également un grand séducteur. Il avait un profil sur tous les sites de rencontre car il tenait à trouver sa moitié, comme on disait à Pitipitipois. La moitié de quoi ? Personne ne savait. Certainement pas de son cordon bleuet, aimait-il à préciser ingénument. Sans doute la moitié de rien, à moins que ce ne soit moins que rien de la moitié, ou l'inverse.

Tatatane faisait beaucoup de conquêtes sur son ordinateur. Click gauche, droite, click, clack, gauche, droite, droite, cling cling, gauche, clong clong. Il « matchait » beaucoup comme on disait dans le milieu. Ce qui signifiait : click gauche, droite, click, clack, gauche, droite, droite, cling cling, gauche, clong clong.

Sur les sites, Tatatane avait mis son meilleur profil, c'est-à-dire une photo d'un autre retouché avec une présentation écrite par un chômeur littéraire pour le prix d'un rosbif. Il faisait de magnifiques rencontres virtuelles qui lui rapportaient des étoiles qui lui rapportaient des rencontres qui lui rapportaient des biguemamatches : click gauche, droite, click, clack, gauche, droite, droite, cling cling, gauche, clong clong.

Il rencontra ainsi Princècerorose qui habitait Clamort, Faisdulogistique qui vivait à Labouboule, Instadeboneur qui résidait à Bouledogueçurmer. Ils discutaient beaucoup, s'envoyait des smileys, des photos de mains retouchées et des tutos abris de jardin.

Un jour, une de ses rencontres, Zombizumba, lui fit une proposition des plus surprenantes. Comme elle habitait près de Pitipitipois, elle lui écrivit directement : « hapaloinloin, ha jpasse, click clack, salut salut. » Se voir ??!! Tatatane ne comprit pas. Il la voyait déjà sur son ordinateur !! Elle avait une photo jolie et ses smileys étaient hyper bien gaulés. Se voir ?? Il ne comprenait pas. Zombizumba se perdit en reformulations : « zouzou, youhou, paloinloin, oué ». Mais rien n'y fit. Tatatane continuait de lui envoyer des cœurs avec des doigts.

Une semaine après, Zombizumba disparut du site Tontondeur et Tatatane se trouva fort dépourvu quand l'heure du click fut venue. Il mangea son cordon bleuet en regardant des vidéos de dauphins qui essayaient de monter des phoques.

Trois mois plus tard, alors qu'il allait livrer un bordel dans les environs de Pitipitipois, il tomba nez à nez avec Zombizumba qui ne reconnut pas Tatatane qui ne la reconnut pas. Il rentra chez lui content d'avoir travaillé la journée en jouant sur son Phonephone. Mais il manqua un virage qu'il connaissait si bien et finit aux urgences avec une jambe et un bras en moins.

Pendant son séjour à l'hôpital, son entreprise le licencia pour faute grave et le remplaça par son cousin qui cherchait du travail depuis dix ans.

Après six mois hospitalisé, il retourna enfin chez lui, satisfait de retrouver son ordinateur qui lui avait tant manqué. Il en pleura de joie et joua de la main gauche une semaine d’affilée sans à peine manger. Tout cela n'était pas grave, se disait-il. Ce qui compte, c'est d'être vivant, pensait-il en nouveau philosophe du joystick. Et il s'acheta un profil de chien avec lequel il demeura ami jusqu'à sa mort.



@saucissepoulet

jeudi 24 décembre 2020

Au pays de Rance – 7 – Le renaissance de l'Ékole rançaise

Au pays de Rance, le Président Mama avait eu un jour une grande idée qui lui était tombée sur la tête comme un pigeon sur un pare-choc : « Haaa l'Ékole, ha cébienbien, oué ». Son ministre de l'Instruction des gens et des saucisses, le redoutable Jean-Mimi Blanquette, avait trouvé cette idée formidablement stimulante. Il avait renchéri aussitôt sur Twitwi : « Ha ouéééé, hakarémenbienbien l'Ékole. »

L'Ékole était un lieu par lequel devait passer chaque Rançais quand il était petit pour que ses parents puissent sereinement faire des réunions de marketing produit tendance et des rétroplannings débriefings synthèses.

Ce qui se passait à l'Ékole, on ne le savait pas trop car, quand les petits Rançais rentraient à la maison, ils allaient jouer à des jeux qui stimulaient leur créativité et leur sensibilité de boucher-charcutier, pendant que leurs parents faisaient des apéros en ligne avec des oreilles de chiens.

On racontait aussi, quand le Huifi était en panne, qu'en gros, à l'Ékole, il y avait des personnes qui parlaient aux petits Rançais sans utiliser leur Phonephone. Et ça déjà, c'était louche. On disait également que ceux qui leur parlaient donnaient soit des suites de chiffres incompréhensibles, soit des suites de mots totalement absconses. Ça faisait rire tout le monde : « ha baaah, déchiffrédélètres, ha baaah kéceucèsstrukk ?!?! »

Les animateurs de l'Ékole étaient nommés les Plankplanks parce qu'ils avaient continué l'Ékole alors qu'ils n'y étaient plus obligés et qu'ils se réunissaient tous les mercredis après-midis pour échanger des livres dans des tupperwares.

Jean-Mimi Blanquette n'aimait pas les Plankplanks. Avant d'être ministre, il avait exercé le métier de vendeur de bureau en acajou et il s'était fait la promesse d'équiper les classes en bureaux neufs.

Mais Mama en voulait plus, il lui répétait sans cesse : « Ha pluss, ha pluss, ha plussplusspluss ! Dihohééé haaa ! ». Jean-Mimi chercha, chercha fort tout au fond de son immense crâne une idée qui pût plaire à son grand Mama. Mais il ne trouvait rien, parce que les idées étaient parties en vacances depuis qu'il était ministre.

Mama, n'en tenant plus, parcourut toute la Rance à la recherche d'un expert avec une idée dedans. Soudeur pour chaudière, livreur de socquettes jaunes, repasseur de chemises à manches courtes, le moindre spécialiste que la Rance pouvait receler faisait l'objet d'un entretien des plus poussés. Mais aucune idée ne venait, c'était le désert du flamby.

Un soir, Jean Mimi reçut un appel d'un éleveur de moutons à chapeaux de paille. Il avait une idée ! Oui une idée, oui ! C'était simplissime à souhait : « Halbienvieillanse et Gougougueule ! » C'était ça le secret d'un bon élevage selon lui ! Aussitôt, Jean-Mimi se fit envoyer une vidéo qui montraient les fameux moutons en train de commander des kebabs sur des tablettes tactiles. Des larmes s'élevèrent dans cette âme ô combien sensible et délicate : « rhaaamé magnifaillequeuqueu... hahoinhoindukeur... delavi ! »

Mama, sitôt la vidéo visionnée, convoqua un conseil de défonce intérieure-extérieure. Les ministres étaient en transe, les conseillers s'étreignaient dans les bras, les députés s’enivraient du génie : « Paceukeu cé nautre jouèèèèèè !! Hèèèèèèè, hèèèèèèèèè !!! » chantaient-ils tous en chœur et encore.

Dès la rentrée suivante, la réforme fut appliquée et Jean-Mimi Blanquette montra tout son sens de l'étagère : « cliquéclac, cécomac, tiquétac !! ». Les Plankplanks râlèrent mais ça faisait bien longtemps qu'on ne comprenait plus leurs complaintes et les Rançais regardaient ces hurluberlus avec des yeux de poissons panés : « hacomprenpa, hacomprenpa, sorri. »

Après deux ans passés où l'Ékole avait été transformationnée par la modernitude sympa, il fallait bien convenir que les résultats étaient là. Après de solides formations de gentillesse appliquée sur des tartines de confiture et des heures de recherche de vidéos de poissons-chats sur Gougougeule, les petits Rançais avaient vraiment évolué : ils ne faisaient plus de bruit, ils ne criaient plus, ils ne se regardaient plus. La Rance avait changé, ce qui voulait dire que c'était différent, donc bien.

Mama et Jean-Mimi étaient fiers d'eux, ils avaient fait quelque chose pour la Rance. Ils avaient eu le courage de faire jaillir dans ce vieux pays une idée nouvelle, moderne, connectée, supersonique.

Quand les élections des députés arrivèrent, ils se dirent, confiants : « rhatrankiltavu, ouèbienbien ! ». Mais la surprise fut totale et immense. Tous ces Rançais biberonnés au lait du savoir international cosmique ne votèrent pas pour le parti de Mama. Non, ils votèrent à moitié pour un kebab ketchup moutarde, et à moitié pour un kebab moutarde ketchup. Tout ça était vraiment sans fin... Un profond sentiment d'incompréhension parcourut alors les yeux présidentiels aveuglés et clignotants d'hébétude : « hacomprenpa, hacomprenpa... »


@saucissepoulet

Au pays de Rance – 6 – Jajava et le chef qui aimait les ordres

 Dans une jolie ville moche de Rance vivait Jajava, une femme normale de quarante-cinq ans qui aimait les pots de fleur, le ping-pong et tout ce qui était normal. Elle supportait mal les changements, les nouveautés et les imprévus. Plus c'était normal, mieux c'était. Normalisme et normalitude.

Jajava exerçait un métier en harmonie avec son moi profond : elle était comptable. La comptabilité, c'est comme s'ennuyer mais avec des chiffres. Elle adorait son métier. Faire des bilans, mettre à jour des tableaux, suivre l'actualité fiscale créaient en elle un sentiment de normalité puissant et féérique.

Elle travaillait dans une entreprise spécialisée dans les produits frais : carottes râpées, taboulés, salade de tomates vendus à travers le monde pour le bien-être des travailleurs au chômage.

Sa société, Tomate et Compagnie, était dirigée par un chef autoritaire et lâche, un vrai concombre, qui s'appelait Bocedure. Bocedure était de ces hommes dont on dit qu'ils n'existent plus, qu'ils sont un peu « toumeutche »... et qui font rire les autres dans un profond malaise en plastique.

Bocedure aimait son entreprise : notes de frais, déductions d'impôts et tickets restau enchantaient sa vie de bureau. Les diners d'affaires était sa passion, les boutons de manchettes aussi. Sa grande devise était : « Ha Bocedure, ha boce et ha dur ! »

Il avait une grosse voiture payée par Tomate et Compagnie ainsi qu'un immense bureau avec balcon et stagiaire qui lui épluchait ses bananes, lui cherchait des cafés et l'assurait de sa supériorité.

Aucun employé ne supportait Bocedure. Il était toujours à gueuler, en retard, inorganisé, de mauvaise foi, caractériel et ingrat. Sa boite tournait sans lui mais il était persuadé que tout dépendait de lui.Tout le monde prenait sur soi et faisait semblant, c'est ce qu'on appelait « lavidentreprise ».

Chaque jour, Bocedure enquiquinait Jajava. Remarques blessantes, mains baladeuses, remontrances permanentes venaient perturber constamment l'activité normale de Jajava : « Habahbah pouettepouettecamion ! » le lundi. « Léhouldossierfoulalala ! » le mardi. « Rhamerdedede ! » le mercredi. Chaque instant, Jajava devait faire avec toutes ces saletés au milieu des dossiers cartonnés.

Les autres collègues souriaient comme des navets qui font semblant, ça allait bien dans le décor. Jajava souffrait de cette vie normale gâchée sans cesse, pour un salaire qui correspondait à deux factures de restaurant de Bocedure.

Un jour, alors que Bocedure s'était encore emporté contre elle et avait osé balancer par la fenêtre toute le compta de 2012 qu'elle avait classée avec des codes couleur, elle craqua. Elle pleura et ne s'arrêta plus. On la renvoya chez elle avec un souffle d'agacement : « Fuuuu, haaa, vrémen ! »

Jajava dormit deux semaines, repleura une troisième et se réveilla la quatrième. Elle regarda une vidéo sur Youtoutoube qui classait les dix pires tortures du Moyen Âge. C'était très instructif. Elle se disait : « hahaha, trorigolu huhu, crack couic plouk zou ! »

Mais bon, le rêve ne dura qu'un temps. Au bout de cinq semaines, il fallut retourner au travail. Tout recommença comme avant. Irritations, cris, explosions crues, destructions, la vie moisie reprenait ses droits chez Tomate et Compagnie.

Jajava se sentait seule. Quand elle essayait de parler des problèmes au travail, ses collègues lui montraient des photos de leur chien ou des vidéos de chat qui pètent sur Faceplouc. Elle finit par se dire : « pludéspoir pludéspoir, el nhareng trop pa céçoir ».

Un jeudi après-midi, alors que Bocedure savourait sa banane, il convoqua Jajava dans son bureau. Il faisait beau et chaud comme en Belgique. Les fenêtres étaient grand ouvertes et le vent caressait les envies habituelles de Bocedure. Il recommença ses comportements déplacés envers Jajava qui était presque tétanisée.

Alors que Jajava voulut respirer sur le balcon, Bocedure s'élança vers elle plein de pensées salaces. Mais le stagiaire avait laissé un reste de peau de banane par terre et Bocedure glissa par dessus la rambarde, chuta des cinq étages sous les yeux médusés de Jajava et finit dans une bouche d'égout qu'un technicien de la fibre avait laissée ouverte. Badaboum. Et c'était fini. Bocedure mort sans procédure. Couic-couic, pouic-pouic.

Bocedure fut enterrée en l'absence de ses employés qui avaient tennis. Un nouveau patron le remplaça. Son nom était Bocemax. Il fit le tour des bureaux avec un large sourire d'une bonne mutuelle. Son slogan à lui, c'était : « Bocemax, haprofitamaxmax ! »


@saucissepoulet

vendredi 23 octobre 2020

Au pays de Rance – 5 – Le Nouveau Monde

Tout allait bien au pays de Rance. Tout allait trop bien super : les oiseaux twitwitaient, les gens buvaient des jus de raisins parfumés et tout le monde se retrouvait gaiment à la machine à café du lundi matin du magnifique monde de l'entreprise du bonheur partagé de l'allégresse transconnectée de nos existences mobiles et interurbaines.

Zizizou était un chercheur qui ne trouvait rien. Il vivait dans un pavillon d'une quelconque banlieue de campagne à côté d'un supermarché. Sa femme, Laidiglouglou, était toiletteuse pour chiens. Ils n'avaient pas d'enfants car ils préféraient les animaux : « an caresse et zou, ha pas bezoin de pluplu lulu » qu'ils disaient à leurs voisins dubitatifs.

La vie coulait paisible et tranquille comme une urne funéraire. À Noël, les cadeaux, à Pâques, les chocolats, et au milieu, le cassoulet.

Un jour, alors qu'il s'endormait sur son bureau après le déjeuner avec ses collèges, Zizizou fit tomber une fiole sur une souris de son laboratoire. Dans cette fiole grenouillait un liquide contenant un virus trouvé en Chichichine, un pays lointain qui ne parlait pas le rançais. Totalement désemparé à l'idée de sacrifier sa sainte sieste, Zizizou remit vite fait fissa les choses à leur place comme si de rien n'était et reprit ses rêves de pêche au thon.

Quelques mois après, la population tombait étrangement malade : « heu rheu heu rheu » toussait la Rance, « heu rheu heu rheu » résonnait le pays. Dans les hôpitaux, on construisait des lits superposés mais ça ne suffisait plus. Mama, le grand chef des Rançais, ne savait plus quoi faire, il se lamentait sans espoir : « ha kesseucè sbordelle, ha pu péhibé, ha pu espridinitiative, ha Rance à mer, hololololo ! »

Tout le pays de Rance n'était plus qu'un champ de ruines désolé. Plus d'activité, plus d'économie, plus de Trovail. Laidiglouglou ne bossait plus, faute de clients et faute de chiens même, puisque tous étaient morts : « habadidon cétai bien lapeine didon, ha pu ouafouaf, ha pu Trovail. »

Quoi que les ministres fissent, la situation ne changeait pas. On devait mettre des masques, des gens n'en mettaient pas, on devait aller au Trovail quand même, des gens restaient chez eux, on devait prendre un médicament miracle, des gens n'en voulaient pas. Un vaste troupeau de pingouins et de chèvres.

Tout allait donc en s'empirant. Car plus de Trovail, plus de nourritures, plus de boissons et plus de supermarchés. Des personnes essayaient de faire pousser des carottes sur leur balcon mais internet ne fonctionnait plus et c'était trop compliqué de faire sans.

Zizizou, lui, allait très bien mais il ne savait même pas pourquoi. Il avait totalement oublié cette fiole renversée. Il n'allait plus au Trovail et passait toutes ses journées à la pêche à la mouche.

Un soir en rentrant, il ne vit plus Laidiglouglou affalée dans le canapé. Il ne s'inquiéta pas, car l'étendue de leurs sentiments se limitait aux parts fiscales. Mais au bout de cent cinquante jours, tout de même, il s'interrogea : « ha bah léou Laidiglouglou, la tombé danzintroutrou ? ».

Il sortit de sa maison, passa le seuil de sa petite ville grise et continua son chemin, éberlué de ne croiser personne : « rho la la la, rho la la la la... »

C'en était fini de la Rance et des Rançais, tout le monde était mort ou agonisait dans les hôpitaux et Zizizou ne retrouvait plus rien du monde d'avant. Il rentra chez lui. N'ayant jamais eu envie d'autre chose, il ne voyait pas ce qu'il pouvait désirer désormais.

Sur le chemin du retour, il tomba sur une guenon qu'il avait croisée dans son laboratoire. Ils se reconnurent comme au premier jour et leurs regards s’étreignirent avec tendresse et volupté. Dans une prairie, ils s'abandonnèrent à l'instant qui les avait réunis.

Neuf mois après naissait Castèque, le premier d'une longue lignée qui de fil en file se mit à repeupler la Rance. On parlait de Nouveau Monde, de Renaissance essentielle, de Réinvention continuelle, la vie reprenait son cours envers et contre tout.

Un jour, le maire de la ville, Castèque, inaugura le nouveau supermarché qui portait le nom de Zizizou. Les larmes coulèrent entre les promos de chaussons quand l'élu prononça ces quelques mots du souvenir : « haaaaaa lapèche, cé bien ».


  @saucissepoulet

dimanche 12 juillet 2020

Au pays de Rance – 4 – La rencontre de Gwendolita et Bentolito

Gwendolita était une belle jeune fille blonde jolie de taille moyenne. Elle habitait sur une ligne de train de banlieue dans un pavillon mignonnet qui n'avait pas de jardin. Du haut de ses dix-huit ans résonnait une volonté de réussir impressionnante : l'ambition l'habitait à tous les étages. Ses parents, banquiers dans des tours en ville, étaient fiers de leur princesse et disaient volontiers d'elle : « Halira loing loingue, ha Gwendolita, hui hui, halira baba bibel ! ».
Comme tous les gens de son âge, Gwendolita aimait beaucoup son téléphone et les réseaux sociaux comme Instagaga, Snoopchat, Faceplouc, Twinner, Flikflok, Wouazapp, Qwich, Sloudididou, Péculala, Brossadenrosenormale, Baillebaille, entre autres.
Le matin, elle trempait ses tartines en tchèquant tous ses comptes puis en postant une photo de sa brioche industrielle au sucre. Le midi, elle mangeait son sandwich au thon en tchèquant tous ses comptes puis en postant une photo de son cookie industriel au sucre. Le soir, elle dinait avec ses parents en tchèquant tous ses comptes puis en postant une photo de son multifruit industriel au sucre. Entre les repas, elle tchèquait tous ses comptes, sans manger. La nuit, pareil, et le lendemain aussi.
Un dimanche matin, elle se leva de bonne humeur et prit une grande décision : elle allait lancer sa chaine Youtoutoube et conquérir le monde nouveau et infini de l'internet ! « Huifi ho hui, Youtoutoube, toutou you toube ! » s'exclama-t-elle en ouvrant les fenêtres de sa chambre donnant sur une clinique vétérinaire.
Elle se mit aussitôt à l'ouvrage. Ses parents l'aidèrent à s'équiper car ils croyaient en elle plus que jamais. Gwendolita avait trouvé sa voie, c'était forcément la bonne ! Ils convinrent même de l'autoriser à laisser tomber ses études, qui ne servaient pas selon eux à faire de l'argent.
Très vite sa chaine Youtoutoube connut un vif succès. L'idée était tellement simple mais redoutablement originale. Gwendolita y commentait les différents posts qu'elle croisait sur tous les réseaux sociaux qu'elle continuait de tchèquer en direct durant ses vidéos. Elle obtint au bout de deux semaines plus de deux millions d'abonnés et ses vidéos tournaient autour de dix millions de vues. Elle devenait riche, ses parents étaient contents, la famille était riche et contente : « O wèn ze pèze, ho wèn ze pèze gogo marching ine, la la la la, la, la la, la la ».
Un beau matin de novembre, alors qu'elle comptait ses statistiques de vues, elle se rendit compte que les chiffres baissaient. Oui ça baissait, et les jours d'après, ça baissait encore : plus d'argent, plus de dents, c'était moins rigolant !
Elle écrivit à Youtoutoube pour comprendre : « Ha hui ho Youtoutoube, ha la la chaine ha pu soussous, ho la la, donedonedone soussous ! ». On lui expliqua alors qu'un autre aventurier marchait très fort en ce moment et qu'il lui prenait des parts de marchés, qu'on appelait internautes. Elle surfa aussitôt pour zieuter son concurrent au plus près.
Il s'appelait Bentolito. Il était jeune brun grand et avait créé une chaine où il commentait en direct les émissions de télé. C'était archi fun marrant et drôle de ouf de lol. Mais Gwendolita ne savait pas du tout comment l'empêcher de lui voler ses parts de marché. Elle assistait impuissante à la baisse des clics comme des chaines de claques. Ces parents devinrent inquiets. Un soir même, Gwendolita alla jusqu'à sortir de chez elle sans son portable.
Craignant qu'elle en arrive au pire en clôturant tous ses réseaux sociaux, ses parents se décidèrent alors à joindre Bentolito. Ils lui écrivirent un long mail émouvant accompagné de photos de leur fille. Dans les cinq minutes, ils obtinrent une réponse de Bentolito : « Ha mé ouai ouai hui, ha dacodakoké ! ». Bentolito, qui vivait en réalité dans la ville voisine, était ravi de faire la connaissance d'une Youtoutoubeuse ! Ils aimaient la même chose ! Téléphone, manger, dormir, et internet !
Bentolito vint s'installer dans le pavillon des parents de Gwendolita. Ils créèrent une chaine à deux qui consistait à commenter toutes les photos de chiens postées sur Instagaga, c'était tellement mignon et sympa ! Ils doublèrent leur nombre de vues en l'espace d'une semaine et se hissèrent en haut des sommets des visionnages.
Ils gagnèrent ainsi toujours plus d'argent, chaque semaine, chaque mois, chaque année davantage. Ils n'eurent pas d'enfants et vécurent heureux, chacun dans sa chambre, chez papa maman.


@saucissepoulet