jeudi 12 août 2021

Au pays de Rance – 10 – La révolte incroyable des Antissussucres

 Un jour, au temps jadis du pays de Rance, les gens vivaient dans le bien-être absolu : ils avaient des Phonephones, du Huifi et des écrans plats qu'ils regardaient en sirotant des sirops en sucre tout en s'empiffrant de gâteaux à l'huile.

C'était l'époque du Grand Bonheur rançais. Pas de travail mais pas de retraite. Pas de dialogue et pas de projets. Tout allait normalement normal dans une normalitude normalisatoire. Sur les écrans, on pouvait voir des émissions subtiles sur l'alliage féérique d'un bermuda jaune et d'un pull marron, mais aussi des débats entre intellectuels siliconés sur la délicate question de l'eau qui mouille, ou encore des séries sur des personnes qui regardaient la télé.

Le temps était à la fraternité, l'humeur en fête et si, par dessus cela, l'équipe nationale de curling gagnait la Coupe du monde, alors là c'était l'explosion de joie et d'achats de guimauve à la gélatine.

Un soir d'été, Gningnin, un Rançais tout à fait ordinaire qui vivait à Dreuleuleu, fut totalement désappointé de découvrir que son gâteau Kinebeubeure à la banane sucrée avait un gout salé : « ha mé ho mé hou mé koi mé ho ! Poualalalala ! ». Il décida d'écrire sur Faceplouc son indignation des plus légitimes : « Kinebeubeure, ha pa bon, ha pululu ! »

Une semaine plus tard, quelle ne fût pas son ébahissement lorsque Gningnin découvrit que plusieurs Rançais avaient traversé le même traumatisme que lui : du sel dans les gâteaux Kinebeubeure ! Le goût sucré était totalement absent et recouvert par un piquant salin. Un groupe Faceplouc se constitua et les avis négatifs affluaient de toutes parts : « Ha Kinebeubeure, ha poualala ! ».

La société Kinebeubeure mit tout en œuvre pour obtenir une explication et trouver une solution. Tous les chercheurs, les savants et les scientifiques travaillèrent ardemment et d'arrache-pied pour trouver un remède. Ce fut rapidement chose faite et le dirigeant de Kinebeubeure fit une déclaration officielle : « Ha phini, ha tinkiète, ha cébon, mangemange Kinebeubeure ! ».

Mais tout le monde ne fut pas convaincu. Le produit miracle qui avait guéri les gâteaux se dénommait Sussucre et beaucoup de Rançais étaient très méfiants vis-à-vis de lui. Certains disaient qu'il faisait pousser les cheveux, d'autres démontraient qu'il faisait faire des rêves merveilleux de bilans comptables. De plus, des Rançais proclamaient haut et fort qu'ils étaient des êtres libres et indépendants et qu'ils ne se laisseraient jamais entrainer dans cette dictature du Sussucre. Des citoyens Rançais allaient même à comparer l'obligation du Sussucre aux pires heures de l'histoire de la saucisse allemande.

Tous ces personnes attachées à leur liberté de penser et de vivre appelaient au boycott de la marque Kinebeubeure et manifestaient dans les rues au cri de « Kinebeubeure, Kinebeubeure, beubeubeuh, bouboubouh ! ». Ils prirent le nom des Antissussucres et se fédérèrent en collectif de combat : ils balançaient des brioches sur les députés et des sacs de glucose sur les préfectures.

La direction de Kinebeubeure prit la mesure du soulèvement et engagea toute une campagne pour montrer les bienfaits du Sussucre pour le bonheur de l'humanité : « Sussucre la la, Sussucre youpa, Sussucre ouah ouah ! ».

Mais cela ne fit que raviver davantage la flamme des Antissussucres qui révélaient désormais que le Sussucre entrainait le réchauffement climatique et la crevaison des trottinettes.

Jusque-là prudent, le Président Mama décida de prendre la parole et intervint dans tous les écrans de Rance. Avec un ton rassurant et bienveillant, il dégusta un gâteau Kinebeubeure en entier et en direct. Les Rançais étaient rassurés dans l'ensemble, mais les résistants Antissussucres en concluaient juste que Mama n'était qu'une marionnette manipulée par un collectif de ragondins.

Les Antissussucres ne lâchèrent jamais le combat pour la vérité et se montrèrent déterminés comme des lions enragés en manque de Huifi. La marque Kinebeubeure se résolut à fabriquer des gâteaux 100% sans Sussucre qui avaient encore un goût salé, ce qui était la preuve ultime qu'ils étaient sécurisés. Cela convainquit les Antissussucres qui célébrèrent leur victoire en mangeant un gâteau géant offert par Kinebeubeure.

Peu à peu et durablement, les Antissussucres reprirent leurs habitudes de consommation et se gavèrent à nouveau de gâteaux à l'huile Kinebeubeure. Les esprits se calmèrent et un nouveau scandale alimentaire vint faire oublier l'autre et ainsi de suite.

Les Antissussucres ne vécurent pas longtemps et moururent tous avec les artères bouchées. Tel en avait décidé leur liberté irréductible. Ce fut une fin digne, une fin levée, debout, une fin grandiose et rançaise.



@saucissepoulet

dimanche 30 mai 2021

Au pays de Rance – 9 – Les jours heureux et sympas de la nation rançaise

Au pays de Rance, la vie politique avait toujours été simple. Depuis la nuit des temps ancestraux de la préhistoire régnaient deux partis qui s'affrontaient avec véhémence à chaque élection. Les débats étaient cinglants avant le vote : « ha oui hooo ! » ; « ha nan hééé ! ». Une véritable boucherie d'interjections.

Et puis après, une fois élus, les deux partis faisaient la même politique, à savoir : donner un vieux bout de fromage pasteurisé et une claque en disant : « haaaa désolai, ha pu soussous, soriço, soriço, soriço cocos ! »

Le premier parti se nommait Les Chitoumous. Leur programme : réformer la Rance dans une perspective moyenne et raisonnable. Le second parti se nommait Les Chitrodurs. Leur ambition : réformer la Rance dans une dynamique modéré et convenable. Chaque parti était convaincu d'incarner le progrès. Mais plus le temps passait, plus les Rançais les prenaient pour des clowns finis : « haltromarranlolilole blanbonnéné ! ».

Un jour, un hurluberlu fondit un nouveau parti qui voulait bousculer les clivages du passé dépassé. Cette nouvelle coalition, appelé Les Chiplincentres et mené par Baroudececourt, affichait un programme fort pour la Rance : conjuguer la diversitude au pluriel dans une approche globale d'individualisationnement. Les Rançais n'y comprenaient rien mais comme c'était nouveau, c'était sympa.

Aux élections du Chef suprême et exceptionnel des Rançais, la surprise fut de taille. Baroudececourt fut plébiscité et obtint ensuite une majorité écrasante au Parlement des Élus magnifiques de Rance. On ne comprenait pas plus leur programme mais c'était nouveau, donc c'était sympa.

Malheureusement, les choses reprirent comme avant. Le ver était dans le fruit : tous les élus Chiplincentres venaient des deux anciens partis. Ils firent des compromis à n'en plus finir qui aboutirent à une politique qui n'avait de nouveau que la date : un bout et demi de fromage et une claque et demi.

Les Rançais regardaient désolés sur leurs écrans ses élus déjà vus qui se croyaient modernes. On aurait dit qu'ils pleuraient devant des gosses attardés contents d'eux-mêmes. Ces clowns relookés leur semblaient aussi attristants que des poissons morts dans des slips.

Ils s'en retournèrent à leurs tondeuses, leurs chips et leurs ouafouafs dans leurs pavillons en plâtre. Après tout, c'était peut-être ça l'essentiel, tous ces petits bonheurs sous cellophane.

Les Chiplincentres avaient totalement vidé de leur substance les deux anciens clans, Chitoumous et Chitrodurs. Il n'y avait plus d'alternative, plus d'espoir, le grand désert des idées recouvert de mots creux et flasques : « halprogrè-bienbein » ; « forcésolidarithé-nouvèlétranquilou » ; « ensamblossi-maipatrokanmème ». Des brassées de perles de concepts mous et visqueux.

La nouvelle élection du Chef suprême et exceptionnel des Rançais revint et on ne voyait pas comment on allait pouvoir s'amuser un peu. On mettait de l'espoir dans un parti tout neuf appelé Le Rassemblement Patrimonial dont le projet politique était de réinventer une dynamique d'inclusion totale par la revivification d'une société d'exclusion. Sa cheffe, Ririne Lepeignapapa, était cruche comme un seau mais ça permettait aux Rançais de mieux s'identifier. La curiosité des Rançais et des médias s'émoustillait de plus en plus et on devait bien convenir d'une chose évidente et fatale : c'était nouveau, donc c'était sympa.

De fil en aiguille, les Rançais s'habituèrent à ce nouveau parti : « hapasiméchandidon, ho la la, ho hé » qu'on disait. Et d'aiguille en images, le Rassemblement Patrimonial remporta haut la main les élections.

Cette fois, la vie des Rançais changea radicalement. Enfin surtout pour cinq pour cent d'entre eux qui furent envoyés sur la Lune dans un tupperware géant. Pour le reste, les changements furent surtout cosmétiques. Ainsi, dans les écoles rançaises, chaque matin, on chantait : « Zig zig zig, aye aye aye, zigaye zigayou ! ». Dans les administrations, on affichait le portrait de Ririne avec une permanente brushing balayage soufflé. Aux frontières de la Rance, on avait positionné des gardes avec tapettes à souris contre les envahisseurs mangeurs du fromage des Rançais.

Mais à force d'inclusion excluante, à force de ne plus rester qu'entre soi au milieu des pavillons à crédit, les Rançais devinrent de plus en plus crétins, énormément crétins, formidablement crétins. L'émission télé favorite n'était plus « Apoiletouteu-lachoukroute » mais « Dukudukuduku ». Les marchands de saucisses en gélatine faisaient des bénéfices considérables et les gens devenaient gros, difformes et consanguins. Les eaux usés débordaient des égouts et une odeur âcre se répandit partout avec un lot de maladies nouvelles.

En à peine un an, les Rançais trépassèrent asphyxiés par l'odeur d'excrément brun putrescent. Seuls quelques résistants Chitoumous et Chitrodurs survécurent et se réunirent ensemble pour bâtir une nouvelle Rance : le monde de l'Apeuprèdaprè. Leur nouvelle vision d'avenir : réunir la variété dans la singularité. C'était simple, c'était nouveau. C'était sympa. Mais on n'y comprenait rien.



@saucissepoulet

mercredi 17 février 2021

Au pays de Rance – 8 – Tatatane ou Le Terrible Fantôme du web

 Il y avait au pays de Rance un village qu'on appelait Pitipitipois dans lequel vivait Tatatane, un jeune homme qui était livreur de choses et de trucs. Tatatane était grand et fin avec un ventre et un derrière et une casquette rouge. Bref, il se croyait original comme tout Rançais et faisait chaque jour son petit caca comme eux en s'essuyant avec du papier Lidoule.

Tatatane se prétendait grand voyageur mais, à Pitipitipois, la vie était triste comme une chaussette sale et seule. Il n'y avait rien. Le centre-ville était mort, les gens étaient morts, le dynamisme néo-ruralo-urbain était mort. C'était comme partout pareil. Des pavillons, de la pelouse et la télé.

Tatatane était un être que la modernité avait placé à l'avant-garde du progrès florissant. Il possédait un merveilleux ordinateur connecté au réseau Huifi fibroscopique. Il jouait à des jeux mirifiques et enchantés dans sa chambre qui sentait un peu le renfermé.

Tatatane était content. La dégustation de cordons bleuets au ferrocyanure de soude lui inspirait des vers romantiques qu'il déclamait en reniflant : « Miamiamiam hmmm bon, hmmm la la ! ». Le jour, il livrait des bidules à des gens, le soir il rentrait jouer à Fordelanaïte. Cinq jours sur sept. Tranquille tranquille. Dans l'année, cinq semaines de vacances. Tranquille tranquille. Et puis l'année d'après, la même chose. Tranquille tranquille.

Tatatane, de toute façon, n'aimait pas trop les vacances car il disait « haaaa mennui ha mennui... ». Et il retournait gaiment livrer des machins et des bazars en jouant sur son Phonephone au volant.

Tatatane était également un grand séducteur. Il avait un profil sur tous les sites de rencontre car il tenait à trouver sa moitié, comme on disait à Pitipitipois. La moitié de quoi ? Personne ne savait. Certainement pas de son cordon bleuet, aimait-il à préciser ingénument. Sans doute la moitié de rien, à moins que ce ne soit moins que rien de la moitié, ou l'inverse.

Tatatane faisait beaucoup de conquêtes sur son ordinateur. Click gauche, droite, click, clack, gauche, droite, droite, cling cling, gauche, clong clong. Il « matchait » beaucoup comme on disait dans le milieu. Ce qui signifiait : click gauche, droite, click, clack, gauche, droite, droite, cling cling, gauche, clong clong.

Sur les sites, Tatatane avait mis son meilleur profil, c'est-à-dire une photo d'un autre retouché avec une présentation écrite par un chômeur littéraire pour le prix d'un rosbif. Il faisait de magnifiques rencontres virtuelles qui lui rapportaient des étoiles qui lui rapportaient des rencontres qui lui rapportaient des biguemamatches : click gauche, droite, click, clack, gauche, droite, droite, cling cling, gauche, clong clong.

Il rencontra ainsi Princècerorose qui habitait Clamort, Faisdulogistique qui vivait à Labouboule, Instadeboneur qui résidait à Bouledogueçurmer. Ils discutaient beaucoup, s'envoyait des smileys, des photos de mains retouchées et des tutos abris de jardin.

Un jour, une de ses rencontres, Zombizumba, lui fit une proposition des plus surprenantes. Comme elle habitait près de Pitipitipois, elle lui écrivit directement : « hapaloinloin, ha jpasse, click clack, salut salut. » Se voir ??!! Tatatane ne comprit pas. Il la voyait déjà sur son ordinateur !! Elle avait une photo jolie et ses smileys étaient hyper bien gaulés. Se voir ?? Il ne comprenait pas. Zombizumba se perdit en reformulations : « zouzou, youhou, paloinloin, oué ». Mais rien n'y fit. Tatatane continuait de lui envoyer des cœurs avec des doigts.

Une semaine après, Zombizumba disparut du site Tontondeur et Tatatane se trouva fort dépourvu quand l'heure du click fut venue. Il mangea son cordon bleuet en regardant des vidéos de dauphins qui essayaient de monter des phoques.

Trois mois plus tard, alors qu'il allait livrer un bordel dans les environs de Pitipitipois, il tomba nez à nez avec Zombizumba qui ne reconnut pas Tatatane qui ne la reconnut pas. Il rentra chez lui content d'avoir travaillé la journée en jouant sur son Phonephone. Mais il manqua un virage qu'il connaissait si bien et finit aux urgences avec une jambe et un bras en moins.

Pendant son séjour à l'hôpital, son entreprise le licencia pour faute grave et le remplaça par son cousin qui cherchait du travail depuis dix ans.

Après six mois hospitalisé, il retourna enfin chez lui, satisfait de retrouver son ordinateur qui lui avait tant manqué. Il en pleura de joie et joua de la main gauche une semaine d’affilée sans à peine manger. Tout cela n'était pas grave, se disait-il. Ce qui compte, c'est d'être vivant, pensait-il en nouveau philosophe du joystick. Et il s'acheta un profil de chien avec lequel il demeura ami jusqu'à sa mort.



@saucissepoulet