jeudi 24 décembre 2020

Au pays de Rance – 7 – Le renaissance de l'Ékole rançaise

Au pays de Rance, le Président Mama avait eu un jour une grande idée qui lui était tombée sur la tête comme un pigeon sur un pare-choc : « Haaa l'Ékole, ha cébienbien, oué ». Son ministre de l'Instruction des gens et des saucisses, le redoutable Jean-Mimi Blanquette, avait trouvé cette idée formidablement stimulante. Il avait renchéri aussitôt sur Twitwi : « Ha ouéééé, hakarémenbienbien l'Ékole. »

L'Ékole était un lieu par lequel devait passer chaque Rançais quand il était petit pour que ses parents puissent sereinement faire des réunions de marketing produit tendance et des rétroplannings débriefings synthèses.

Ce qui se passait à l'Ékole, on ne le savait pas trop car, quand les petits Rançais rentraient à la maison, ils allaient jouer à des jeux qui stimulaient leur créativité et leur sensibilité de boucher-charcutier, pendant que leurs parents faisaient des apéros en ligne avec des oreilles de chiens.

On racontait aussi, quand le Huifi était en panne, qu'en gros, à l'Ékole, il y avait des personnes qui parlaient aux petits Rançais sans utiliser leur Phonephone. Et ça déjà, c'était louche. On disait également que ceux qui leur parlaient donnaient soit des suites de chiffres incompréhensibles, soit des suites de mots totalement absconses. Ça faisait rire tout le monde : « ha baaah, déchiffrédélètres, ha baaah kéceucèsstrukk ?!?! »

Les animateurs de l'Ékole étaient nommés les Plankplanks parce qu'ils avaient continué l'Ékole alors qu'ils n'y étaient plus obligés et qu'ils se réunissaient tous les mercredis après-midis pour échanger des livres dans des tupperwares.

Jean-Mimi Blanquette n'aimait pas les Plankplanks. Avant d'être ministre, il avait exercé le métier de vendeur de bureau en acajou et il s'était fait la promesse d'équiper les classes en bureaux neufs.

Mais Mama en voulait plus, il lui répétait sans cesse : « Ha pluss, ha pluss, ha plussplusspluss ! Dihohééé haaa ! ». Jean-Mimi chercha, chercha fort tout au fond de son immense crâne une idée qui pût plaire à son grand Mama. Mais il ne trouvait rien, parce que les idées étaient parties en vacances depuis qu'il était ministre.

Mama, n'en tenant plus, parcourut toute la Rance à la recherche d'un expert avec une idée dedans. Soudeur pour chaudière, livreur de socquettes jaunes, repasseur de chemises à manches courtes, le moindre spécialiste que la Rance pouvait receler faisait l'objet d'un entretien des plus poussés. Mais aucune idée ne venait, c'était le désert du flamby.

Un soir, Jean Mimi reçut un appel d'un éleveur de moutons à chapeaux de paille. Il avait une idée ! Oui une idée, oui ! C'était simplissime à souhait : « Halbienvieillanse et Gougougueule ! » C'était ça le secret d'un bon élevage selon lui ! Aussitôt, Jean-Mimi se fit envoyer une vidéo qui montraient les fameux moutons en train de commander des kebabs sur des tablettes tactiles. Des larmes s'élevèrent dans cette âme ô combien sensible et délicate : « rhaaamé magnifaillequeuqueu... hahoinhoindukeur... delavi ! »

Mama, sitôt la vidéo visionnée, convoqua un conseil de défonce intérieure-extérieure. Les ministres étaient en transe, les conseillers s'étreignaient dans les bras, les députés s’enivraient du génie : « Paceukeu cé nautre jouèèèèèè !! Hèèèèèèè, hèèèèèèèèè !!! » chantaient-ils tous en chœur et encore.

Dès la rentrée suivante, la réforme fut appliquée et Jean-Mimi Blanquette montra tout son sens de l'étagère : « cliquéclac, cécomac, tiquétac !! ». Les Plankplanks râlèrent mais ça faisait bien longtemps qu'on ne comprenait plus leurs complaintes et les Rançais regardaient ces hurluberlus avec des yeux de poissons panés : « hacomprenpa, hacomprenpa, sorri. »

Après deux ans passés où l'Ékole avait été transformationnée par la modernitude sympa, il fallait bien convenir que les résultats étaient là. Après de solides formations de gentillesse appliquée sur des tartines de confiture et des heures de recherche de vidéos de poissons-chats sur Gougougeule, les petits Rançais avaient vraiment évolué : ils ne faisaient plus de bruit, ils ne criaient plus, ils ne se regardaient plus. La Rance avait changé, ce qui voulait dire que c'était différent, donc bien.

Mama et Jean-Mimi étaient fiers d'eux, ils avaient fait quelque chose pour la Rance. Ils avaient eu le courage de faire jaillir dans ce vieux pays une idée nouvelle, moderne, connectée, supersonique.

Quand les élections des députés arrivèrent, ils se dirent, confiants : « rhatrankiltavu, ouèbienbien ! ». Mais la surprise fut totale et immense. Tous ces Rançais biberonnés au lait du savoir international cosmique ne votèrent pas pour le parti de Mama. Non, ils votèrent à moitié pour un kebab ketchup moutarde, et à moitié pour un kebab moutarde ketchup. Tout ça était vraiment sans fin... Un profond sentiment d'incompréhension parcourut alors les yeux présidentiels aveuglés et clignotants d'hébétude : « hacomprenpa, hacomprenpa... »


@saucissepoulet

Au pays de Rance – 6 – Jajava et le chef qui aimait les ordres

 Dans une jolie ville moche de Rance vivait Jajava, une femme normale de quarante-cinq ans qui aimait les pots de fleur, le ping-pong et tout ce qui était normal. Elle supportait mal les changements, les nouveautés et les imprévus. Plus c'était normal, mieux c'était. Normalisme et normalitude.

Jajava exerçait un métier en harmonie avec son moi profond : elle était comptable. La comptabilité, c'est comme s'ennuyer mais avec des chiffres. Elle adorait son métier. Faire des bilans, mettre à jour des tableaux, suivre l'actualité fiscale créaient en elle un sentiment de normalité puissant et féérique.

Elle travaillait dans une entreprise spécialisée dans les produits frais : carottes râpées, taboulés, salade de tomates vendus à travers le monde pour le bien-être des travailleurs au chômage.

Sa société, Tomate et Compagnie, était dirigée par un chef autoritaire et lâche, un vrai concombre, qui s'appelait Bocedure. Bocedure était de ces hommes dont on dit qu'ils n'existent plus, qu'ils sont un peu « toumeutche »... et qui font rire les autres dans un profond malaise en plastique.

Bocedure aimait son entreprise : notes de frais, déductions d'impôts et tickets restau enchantaient sa vie de bureau. Les diners d'affaires était sa passion, les boutons de manchettes aussi. Sa grande devise était : « Ha Bocedure, ha boce et ha dur ! »

Il avait une grosse voiture payée par Tomate et Compagnie ainsi qu'un immense bureau avec balcon et stagiaire qui lui épluchait ses bananes, lui cherchait des cafés et l'assurait de sa supériorité.

Aucun employé ne supportait Bocedure. Il était toujours à gueuler, en retard, inorganisé, de mauvaise foi, caractériel et ingrat. Sa boite tournait sans lui mais il était persuadé que tout dépendait de lui.Tout le monde prenait sur soi et faisait semblant, c'est ce qu'on appelait « lavidentreprise ».

Chaque jour, Bocedure enquiquinait Jajava. Remarques blessantes, mains baladeuses, remontrances permanentes venaient perturber constamment l'activité normale de Jajava : « Habahbah pouettepouettecamion ! » le lundi. « Léhouldossierfoulalala ! » le mardi. « Rhamerdedede ! » le mercredi. Chaque instant, Jajava devait faire avec toutes ces saletés au milieu des dossiers cartonnés.

Les autres collègues souriaient comme des navets qui font semblant, ça allait bien dans le décor. Jajava souffrait de cette vie normale gâchée sans cesse, pour un salaire qui correspondait à deux factures de restaurant de Bocedure.

Un jour, alors que Bocedure s'était encore emporté contre elle et avait osé balancer par la fenêtre toute le compta de 2012 qu'elle avait classée avec des codes couleur, elle craqua. Elle pleura et ne s'arrêta plus. On la renvoya chez elle avec un souffle d'agacement : « Fuuuu, haaa, vrémen ! »

Jajava dormit deux semaines, repleura une troisième et se réveilla la quatrième. Elle regarda une vidéo sur Youtoutoube qui classait les dix pires tortures du Moyen Âge. C'était très instructif. Elle se disait : « hahaha, trorigolu huhu, crack couic plouk zou ! »

Mais bon, le rêve ne dura qu'un temps. Au bout de cinq semaines, il fallut retourner au travail. Tout recommença comme avant. Irritations, cris, explosions crues, destructions, la vie moisie reprenait ses droits chez Tomate et Compagnie.

Jajava se sentait seule. Quand elle essayait de parler des problèmes au travail, ses collègues lui montraient des photos de leur chien ou des vidéos de chat qui pètent sur Faceplouc. Elle finit par se dire : « pludéspoir pludéspoir, el nhareng trop pa céçoir ».

Un jeudi après-midi, alors que Bocedure savourait sa banane, il convoqua Jajava dans son bureau. Il faisait beau et chaud comme en Belgique. Les fenêtres étaient grand ouvertes et le vent caressait les envies habituelles de Bocedure. Il recommença ses comportements déplacés envers Jajava qui était presque tétanisée.

Alors que Jajava voulut respirer sur le balcon, Bocedure s'élança vers elle plein de pensées salaces. Mais le stagiaire avait laissé un reste de peau de banane par terre et Bocedure glissa par dessus la rambarde, chuta des cinq étages sous les yeux médusés de Jajava et finit dans une bouche d'égout qu'un technicien de la fibre avait laissée ouverte. Badaboum. Et c'était fini. Bocedure mort sans procédure. Couic-couic, pouic-pouic.

Bocedure fut enterrée en l'absence de ses employés qui avaient tennis. Un nouveau patron le remplaça. Son nom était Bocemax. Il fit le tour des bureaux avec un large sourire d'une bonne mutuelle. Son slogan à lui, c'était : « Bocemax, haprofitamaxmax ! »


@saucissepoulet