jeudi 24 décembre 2020

Au pays de Rance – 7 – Le renaissance de l'Ékole rançaise

Au pays de Rance, le Président Mama avait eu un jour une grande idée qui lui était tombée sur la tête comme un pigeon sur un pare-choc : « Haaa l'Ékole, ha cébienbien, oué ». Son ministre de l'Instruction des gens et des saucisses, le redoutable Jean-Mimi Blanquette, avait trouvé cette idée formidablement stimulante. Il avait renchéri aussitôt sur Twitwi : « Ha ouéééé, hakarémenbienbien l'Ékole. »

L'Ékole était un lieu par lequel devait passer chaque Rançais quand il était petit pour que ses parents puissent sereinement faire des réunions de marketing produit tendance et des rétroplannings débriefings synthèses.

Ce qui se passait à l'Ékole, on ne le savait pas trop car, quand les petits Rançais rentraient à la maison, ils allaient jouer à des jeux qui stimulaient leur créativité et leur sensibilité de boucher-charcutier, pendant que leurs parents faisaient des apéros en ligne avec des oreilles de chiens.

On racontait aussi, quand le Huifi était en panne, qu'en gros, à l'Ékole, il y avait des personnes qui parlaient aux petits Rançais sans utiliser leur Phonephone. Et ça déjà, c'était louche. On disait également que ceux qui leur parlaient donnaient soit des suites de chiffres incompréhensibles, soit des suites de mots totalement absconses. Ça faisait rire tout le monde : « ha baaah, déchiffrédélètres, ha baaah kéceucèsstrukk ?!?! »

Les animateurs de l'Ékole étaient nommés les Plankplanks parce qu'ils avaient continué l'Ékole alors qu'ils n'y étaient plus obligés et qu'ils se réunissaient tous les mercredis après-midis pour échanger des livres dans des tupperwares.

Jean-Mimi Blanquette n'aimait pas les Plankplanks. Avant d'être ministre, il avait exercé le métier de vendeur de bureau en acajou et il s'était fait la promesse d'équiper les classes en bureaux neufs.

Mais Mama en voulait plus, il lui répétait sans cesse : « Ha pluss, ha pluss, ha plussplusspluss ! Dihohééé haaa ! ». Jean-Mimi chercha, chercha fort tout au fond de son immense crâne une idée qui pût plaire à son grand Mama. Mais il ne trouvait rien, parce que les idées étaient parties en vacances depuis qu'il était ministre.

Mama, n'en tenant plus, parcourut toute la Rance à la recherche d'un expert avec une idée dedans. Soudeur pour chaudière, livreur de socquettes jaunes, repasseur de chemises à manches courtes, le moindre spécialiste que la Rance pouvait receler faisait l'objet d'un entretien des plus poussés. Mais aucune idée ne venait, c'était le désert du flamby.

Un soir, Jean Mimi reçut un appel d'un éleveur de moutons à chapeaux de paille. Il avait une idée ! Oui une idée, oui ! C'était simplissime à souhait : « Halbienvieillanse et Gougougueule ! » C'était ça le secret d'un bon élevage selon lui ! Aussitôt, Jean-Mimi se fit envoyer une vidéo qui montraient les fameux moutons en train de commander des kebabs sur des tablettes tactiles. Des larmes s'élevèrent dans cette âme ô combien sensible et délicate : « rhaaamé magnifaillequeuqueu... hahoinhoindukeur... delavi ! »

Mama, sitôt la vidéo visionnée, convoqua un conseil de défonce intérieure-extérieure. Les ministres étaient en transe, les conseillers s'étreignaient dans les bras, les députés s’enivraient du génie : « Paceukeu cé nautre jouèèèèèè !! Hèèèèèèè, hèèèèèèèèè !!! » chantaient-ils tous en chœur et encore.

Dès la rentrée suivante, la réforme fut appliquée et Jean-Mimi Blanquette montra tout son sens de l'étagère : « cliquéclac, cécomac, tiquétac !! ». Les Plankplanks râlèrent mais ça faisait bien longtemps qu'on ne comprenait plus leurs complaintes et les Rançais regardaient ces hurluberlus avec des yeux de poissons panés : « hacomprenpa, hacomprenpa, sorri. »

Après deux ans passés où l'Ékole avait été transformationnée par la modernitude sympa, il fallait bien convenir que les résultats étaient là. Après de solides formations de gentillesse appliquée sur des tartines de confiture et des heures de recherche de vidéos de poissons-chats sur Gougougeule, les petits Rançais avaient vraiment évolué : ils ne faisaient plus de bruit, ils ne criaient plus, ils ne se regardaient plus. La Rance avait changé, ce qui voulait dire que c'était différent, donc bien.

Mama et Jean-Mimi étaient fiers d'eux, ils avaient fait quelque chose pour la Rance. Ils avaient eu le courage de faire jaillir dans ce vieux pays une idée nouvelle, moderne, connectée, supersonique.

Quand les élections des députés arrivèrent, ils se dirent, confiants : « rhatrankiltavu, ouèbienbien ! ». Mais la surprise fut totale et immense. Tous ces Rançais biberonnés au lait du savoir international cosmique ne votèrent pas pour le parti de Mama. Non, ils votèrent à moitié pour un kebab ketchup moutarde, et à moitié pour un kebab moutarde ketchup. Tout ça était vraiment sans fin... Un profond sentiment d'incompréhension parcourut alors les yeux présidentiels aveuglés et clignotants d'hébétude : « hacomprenpa, hacomprenpa... »


@saucissepoulet

Au pays de Rance – 6 – Jajava et le chef qui aimait les ordres

 Dans une jolie ville moche de Rance vivait Jajava, une femme normale de quarante-cinq ans qui aimait les pots de fleur, le ping-pong et tout ce qui était normal. Elle supportait mal les changements, les nouveautés et les imprévus. Plus c'était normal, mieux c'était. Normalisme et normalitude.

Jajava exerçait un métier en harmonie avec son moi profond : elle était comptable. La comptabilité, c'est comme s'ennuyer mais avec des chiffres. Elle adorait son métier. Faire des bilans, mettre à jour des tableaux, suivre l'actualité fiscale créaient en elle un sentiment de normalité puissant et féérique.

Elle travaillait dans une entreprise spécialisée dans les produits frais : carottes râpées, taboulés, salade de tomates vendus à travers le monde pour le bien-être des travailleurs au chômage.

Sa société, Tomate et Compagnie, était dirigée par un chef autoritaire et lâche, un vrai concombre, qui s'appelait Bocedure. Bocedure était de ces hommes dont on dit qu'ils n'existent plus, qu'ils sont un peu « toumeutche »... et qui font rire les autres dans un profond malaise en plastique.

Bocedure aimait son entreprise : notes de frais, déductions d'impôts et tickets restau enchantaient sa vie de bureau. Les diners d'affaires était sa passion, les boutons de manchettes aussi. Sa grande devise était : « Ha Bocedure, ha boce et ha dur ! »

Il avait une grosse voiture payée par Tomate et Compagnie ainsi qu'un immense bureau avec balcon et stagiaire qui lui épluchait ses bananes, lui cherchait des cafés et l'assurait de sa supériorité.

Aucun employé ne supportait Bocedure. Il était toujours à gueuler, en retard, inorganisé, de mauvaise foi, caractériel et ingrat. Sa boite tournait sans lui mais il était persuadé que tout dépendait de lui.Tout le monde prenait sur soi et faisait semblant, c'est ce qu'on appelait « lavidentreprise ».

Chaque jour, Bocedure enquiquinait Jajava. Remarques blessantes, mains baladeuses, remontrances permanentes venaient perturber constamment l'activité normale de Jajava : « Habahbah pouettepouettecamion ! » le lundi. « Léhouldossierfoulalala ! » le mardi. « Rhamerdedede ! » le mercredi. Chaque instant, Jajava devait faire avec toutes ces saletés au milieu des dossiers cartonnés.

Les autres collègues souriaient comme des navets qui font semblant, ça allait bien dans le décor. Jajava souffrait de cette vie normale gâchée sans cesse, pour un salaire qui correspondait à deux factures de restaurant de Bocedure.

Un jour, alors que Bocedure s'était encore emporté contre elle et avait osé balancer par la fenêtre toute le compta de 2012 qu'elle avait classée avec des codes couleur, elle craqua. Elle pleura et ne s'arrêta plus. On la renvoya chez elle avec un souffle d'agacement : « Fuuuu, haaa, vrémen ! »

Jajava dormit deux semaines, repleura une troisième et se réveilla la quatrième. Elle regarda une vidéo sur Youtoutoube qui classait les dix pires tortures du Moyen Âge. C'était très instructif. Elle se disait : « hahaha, trorigolu huhu, crack couic plouk zou ! »

Mais bon, le rêve ne dura qu'un temps. Au bout de cinq semaines, il fallut retourner au travail. Tout recommença comme avant. Irritations, cris, explosions crues, destructions, la vie moisie reprenait ses droits chez Tomate et Compagnie.

Jajava se sentait seule. Quand elle essayait de parler des problèmes au travail, ses collègues lui montraient des photos de leur chien ou des vidéos de chat qui pètent sur Faceplouc. Elle finit par se dire : « pludéspoir pludéspoir, el nhareng trop pa céçoir ».

Un jeudi après-midi, alors que Bocedure savourait sa banane, il convoqua Jajava dans son bureau. Il faisait beau et chaud comme en Belgique. Les fenêtres étaient grand ouvertes et le vent caressait les envies habituelles de Bocedure. Il recommença ses comportements déplacés envers Jajava qui était presque tétanisée.

Alors que Jajava voulut respirer sur le balcon, Bocedure s'élança vers elle plein de pensées salaces. Mais le stagiaire avait laissé un reste de peau de banane par terre et Bocedure glissa par dessus la rambarde, chuta des cinq étages sous les yeux médusés de Jajava et finit dans une bouche d'égout qu'un technicien de la fibre avait laissée ouverte. Badaboum. Et c'était fini. Bocedure mort sans procédure. Couic-couic, pouic-pouic.

Bocedure fut enterrée en l'absence de ses employés qui avaient tennis. Un nouveau patron le remplaça. Son nom était Bocemax. Il fit le tour des bureaux avec un large sourire d'une bonne mutuelle. Son slogan à lui, c'était : « Bocemax, haprofitamaxmax ! »


@saucissepoulet

vendredi 23 octobre 2020

Au pays de Rance – 5 – Le Nouveau Monde

Tout allait bien au pays de Rance. Tout allait trop bien super : les oiseaux twitwitaient, les gens buvaient des jus de raisins parfumés et tout le monde se retrouvait gaiment à la machine à café du lundi matin du magnifique monde de l'entreprise du bonheur partagé de l'allégresse transconnectée de nos existences mobiles et interurbaines.

Zizizou était un chercheur qui ne trouvait rien. Il vivait dans un pavillon d'une quelconque banlieue de campagne à côté d'un supermarché. Sa femme, Laidiglouglou, était toiletteuse pour chiens. Ils n'avaient pas d'enfants car ils préféraient les animaux : « an caresse et zou, ha pas bezoin de pluplu lulu » qu'ils disaient à leurs voisins dubitatifs.

La vie coulait paisible et tranquille comme une urne funéraire. À Noël, les cadeaux, à Pâques, les chocolats, et au milieu, le cassoulet.

Un jour, alors qu'il s'endormait sur son bureau après le déjeuner avec ses collèges, Zizizou fit tomber une fiole sur une souris de son laboratoire. Dans cette fiole grenouillait un liquide contenant un virus trouvé en Chichichine, un pays lointain qui ne parlait pas le rançais. Totalement désemparé à l'idée de sacrifier sa sainte sieste, Zizizou remit vite fait fissa les choses à leur place comme si de rien n'était et reprit ses rêves de pêche au thon.

Quelques mois après, la population tombait étrangement malade : « heu rheu heu rheu » toussait la Rance, « heu rheu heu rheu » résonnait le pays. Dans les hôpitaux, on construisait des lits superposés mais ça ne suffisait plus. Mama, le grand chef des Rançais, ne savait plus quoi faire, il se lamentait sans espoir : « ha kesseucè sbordelle, ha pu péhibé, ha pu espridinitiative, ha Rance à mer, hololololo ! »

Tout le pays de Rance n'était plus qu'un champ de ruines désolé. Plus d'activité, plus d'économie, plus de Trovail. Laidiglouglou ne bossait plus, faute de clients et faute de chiens même, puisque tous étaient morts : « habadidon cétai bien lapeine didon, ha pu ouafouaf, ha pu Trovail. »

Quoi que les ministres fissent, la situation ne changeait pas. On devait mettre des masques, des gens n'en mettaient pas, on devait aller au Trovail quand même, des gens restaient chez eux, on devait prendre un médicament miracle, des gens n'en voulaient pas. Un vaste troupeau de pingouins et de chèvres.

Tout allait donc en s'empirant. Car plus de Trovail, plus de nourritures, plus de boissons et plus de supermarchés. Des personnes essayaient de faire pousser des carottes sur leur balcon mais internet ne fonctionnait plus et c'était trop compliqué de faire sans.

Zizizou, lui, allait très bien mais il ne savait même pas pourquoi. Il avait totalement oublié cette fiole renversée. Il n'allait plus au Trovail et passait toutes ses journées à la pêche à la mouche.

Un soir en rentrant, il ne vit plus Laidiglouglou affalée dans le canapé. Il ne s'inquiéta pas, car l'étendue de leurs sentiments se limitait aux parts fiscales. Mais au bout de cent cinquante jours, tout de même, il s'interrogea : « ha bah léou Laidiglouglou, la tombé danzintroutrou ? ».

Il sortit de sa maison, passa le seuil de sa petite ville grise et continua son chemin, éberlué de ne croiser personne : « rho la la la, rho la la la la... »

C'en était fini de la Rance et des Rançais, tout le monde était mort ou agonisait dans les hôpitaux et Zizizou ne retrouvait plus rien du monde d'avant. Il rentra chez lui. N'ayant jamais eu envie d'autre chose, il ne voyait pas ce qu'il pouvait désirer désormais.

Sur le chemin du retour, il tomba sur une guenon qu'il avait croisée dans son laboratoire. Ils se reconnurent comme au premier jour et leurs regards s’étreignirent avec tendresse et volupté. Dans une prairie, ils s'abandonnèrent à l'instant qui les avait réunis.

Neuf mois après naissait Castèque, le premier d'une longue lignée qui de fil en file se mit à repeupler la Rance. On parlait de Nouveau Monde, de Renaissance essentielle, de Réinvention continuelle, la vie reprenait son cours envers et contre tout.

Un jour, le maire de la ville, Castèque, inaugura le nouveau supermarché qui portait le nom de Zizizou. Les larmes coulèrent entre les promos de chaussons quand l'élu prononça ces quelques mots du souvenir : « haaaaaa lapèche, cé bien ».


  @saucissepoulet

dimanche 12 juillet 2020

Au pays de Rance – 4 – La rencontre de Gwendolita et Bentolito

Gwendolita était une belle jeune fille blonde jolie de taille moyenne. Elle habitait sur une ligne de train de banlieue dans un pavillon mignonnet qui n'avait pas de jardin. Du haut de ses dix-huit ans résonnait une volonté de réussir impressionnante : l'ambition l'habitait à tous les étages. Ses parents, banquiers dans des tours en ville, étaient fiers de leur princesse et disaient volontiers d'elle : « Halira loing loingue, ha Gwendolita, hui hui, halira baba bibel ! ».
Comme tous les gens de son âge, Gwendolita aimait beaucoup son téléphone et les réseaux sociaux comme Instagaga, Snoopchat, Faceplouc, Twinner, Flikflok, Wouazapp, Qwich, Sloudididou, Péculala, Brossadenrosenormale, Baillebaille, entre autres.
Le matin, elle trempait ses tartines en tchèquant tous ses comptes puis en postant une photo de sa brioche industrielle au sucre. Le midi, elle mangeait son sandwich au thon en tchèquant tous ses comptes puis en postant une photo de son cookie industriel au sucre. Le soir, elle dinait avec ses parents en tchèquant tous ses comptes puis en postant une photo de son multifruit industriel au sucre. Entre les repas, elle tchèquait tous ses comptes, sans manger. La nuit, pareil, et le lendemain aussi.
Un dimanche matin, elle se leva de bonne humeur et prit une grande décision : elle allait lancer sa chaine Youtoutoube et conquérir le monde nouveau et infini de l'internet ! « Huifi ho hui, Youtoutoube, toutou you toube ! » s'exclama-t-elle en ouvrant les fenêtres de sa chambre donnant sur une clinique vétérinaire.
Elle se mit aussitôt à l'ouvrage. Ses parents l'aidèrent à s'équiper car ils croyaient en elle plus que jamais. Gwendolita avait trouvé sa voie, c'était forcément la bonne ! Ils convinrent même de l'autoriser à laisser tomber ses études, qui ne servaient pas selon eux à faire de l'argent.
Très vite sa chaine Youtoutoube connut un vif succès. L'idée était tellement simple mais redoutablement originale. Gwendolita y commentait les différents posts qu'elle croisait sur tous les réseaux sociaux qu'elle continuait de tchèquer en direct durant ses vidéos. Elle obtint au bout de deux semaines plus de deux millions d'abonnés et ses vidéos tournaient autour de dix millions de vues. Elle devenait riche, ses parents étaient contents, la famille était riche et contente : « O wèn ze pèze, ho wèn ze pèze gogo marching ine, la la la la, la, la la, la la ».
Un beau matin de novembre, alors qu'elle comptait ses statistiques de vues, elle se rendit compte que les chiffres baissaient. Oui ça baissait, et les jours d'après, ça baissait encore : plus d'argent, plus de dents, c'était moins rigolant !
Elle écrivit à Youtoutoube pour comprendre : « Ha hui ho Youtoutoube, ha la la chaine ha pu soussous, ho la la, donedonedone soussous ! ». On lui expliqua alors qu'un autre aventurier marchait très fort en ce moment et qu'il lui prenait des parts de marchés, qu'on appelait internautes. Elle surfa aussitôt pour zieuter son concurrent au plus près.
Il s'appelait Bentolito. Il était jeune brun grand et avait créé une chaine où il commentait en direct les émissions de télé. C'était archi fun marrant et drôle de ouf de lol. Mais Gwendolita ne savait pas du tout comment l'empêcher de lui voler ses parts de marché. Elle assistait impuissante à la baisse des clics comme des chaines de claques. Ces parents devinrent inquiets. Un soir même, Gwendolita alla jusqu'à sortir de chez elle sans son portable.
Craignant qu'elle en arrive au pire en clôturant tous ses réseaux sociaux, ses parents se décidèrent alors à joindre Bentolito. Ils lui écrivirent un long mail émouvant accompagné de photos de leur fille. Dans les cinq minutes, ils obtinrent une réponse de Bentolito : « Ha mé ouai ouai hui, ha dacodakoké ! ». Bentolito, qui vivait en réalité dans la ville voisine, était ravi de faire la connaissance d'une Youtoutoubeuse ! Ils aimaient la même chose ! Téléphone, manger, dormir, et internet !
Bentolito vint s'installer dans le pavillon des parents de Gwendolita. Ils créèrent une chaine à deux qui consistait à commenter toutes les photos de chiens postées sur Instagaga, c'était tellement mignon et sympa ! Ils doublèrent leur nombre de vues en l'espace d'une semaine et se hissèrent en haut des sommets des visionnages.
Ils gagnèrent ainsi toujours plus d'argent, chaque semaine, chaque mois, chaque année davantage. Ils n'eurent pas d'enfants et vécurent heureux, chacun dans sa chambre, chez papa maman.


@saucissepoulet

mercredi 20 mai 2020

Au pays de Rance – 3 – Les mésaventures de Stivène et Jean-Loulou

Stivène et Jean-Loulou étaient deux jeunes garçons qui vivaient dans la capitale du pays de Rance : Panamas-les-flots. C'était le centre du pays, là où se réunissaient les ministres du Président Mama pour prendre les décisions importantes concernant l'illustre destin de la nation rançaise. Dernièrement, le ministre des Camemberts, Michel Klakosse, avait fait voter une loi pour interdire la dégustation du brie de Meaux à la cuillère. L'histoire fit grand bruit, toute la Rance fut en émoi et Mama avait dû intervenir à la télé pour calmer le jeu : « Wo wo wo, hé hé hé, ho la la bon bon hé » avait-il fini par conclure ce débat brûlant et nauséabond.
Stivène et Jean-Loulou vivaient heureux à Panamas-les-flots. Ils logeaient dans des boites de cinq mètres carrés qui leur avaient couté énormément de Soussous. Heureusement leurs parents étaient riches et du coup ils s'en foutaient bien du prix. En revanche, quand il avait fallu payer en plus un pot-de-vin pour obtenir leur boite à logement, ils avaient un peu fait la tête. C'était la première fois qu'on leur mettait une poutre dans les fesses. Mais c'était passé, car comme on disait dans cette contrée : « Panamas, ha ha, ha passe ha passe ! »
Stivène était blond et grand et Jean-Loulou était brun et grand. Stivène avait des baskets blanches et Jean-Loulou avait des baskets jaunes. Stivène avait des pantalons serrés et Jean-Loulou avait des pantalons serrés. Ils étaient très proches et aimaient se retrouver au bar Le Waneuguène pour boire des cocktails exotiques comme le Giscardoudidon ou le Pompompidou.
Stivène et Jean-Loulou étaient entrepreneurs. Entrepreneur était un métier compliqué : il consistait à dépenser l'argent de ses parents dans des trucs qui rapportaient des Soussous. C'était vraiment complexe : il ne fallait pas faire d'études mais, en revanche, il fallait avoir des parents à Soussous. Bref, ça n'était pas donné à tout le monde, c'était réservé à l'élite de la Rance.
Stivène et Jean-Loulou parlait un langage à eux, l'Yneglichegenre, et leur passe-temps favori était d'aller sur Faceplouc pour poster des réflexions sur les marques de cacahuètes : « Ha watzefouk, tro goude of folaye ! » ; « Ze beste of ze cooloulou geniusse jusse ! » ; « Wouai wouai, miamou classe of ze worlde traide centeur park ! ».
Leur journée type consistait à chercher du Huifi. Du Huifi chez mamie, du Huifi chez Sophie, du Huifi dans le lit, du Huifi chez les amis, du Huifi dans le cagibi. Trouver du Huifi occupait leur vie, se connecter au Huifi les remplissait d'envies.
Mais un jour, le ministre des Câbles et des Tuyaux fit une bêtise. Il avait oublié de commander des nouveaux fils dans un pays au loin et tout à coup, durant un bel après-midi d'été, à 13h47, plus de Huifi, plus de Huifi du tout, plus aucun Huifi. Panamas-les-flots ne captait plus. Panamas-les-flots était à l'eau plate.
Stivène et Jean-Loulou, attablés au Waneuguène, furent pris de tremblements. Ils se mirent à courir dans toutes les rues en cherchant du Huifi : « Huifi hou hou, hou ize ze Huifi, fouck fouck ! » ; « Ha Huifi, ha ha, kom bak ine you esse esse are ! ». Mais le Huifi ne revenait pas et ils se laissèrent mourir à proximité d'une borne d'un restaurant kebab. Stivène regardait Jean-Loulou qui agonisait, les yeux pleurant sur son Phophone sans réseau.
Alors que Jean-Loulou allait rendre son dernier souffle, une ultime notification vibra sur son appareil magique : « Vrrrin vrrrin, vrrrin vrrrin ». C'était un message du Président Mama !! Mama notre sauveur, Mama notre dieu tout puissant ! Il venait de rebrancher le Huifi en utilisant des ficelles de saucisson ! Un miracle, un génie, un grand pas vers le paradis ! Partout dans Panamas-les-flots résonnaient ces mots de délivrance : « Huifi, hui hui hui ! Huifi, hui hui hui ! »
Stivène aperçut les yeux de Jean-Loulou se rebrancher sur son écran et son visage se remit à rayonner de ce retour de luminosité carré. Des larmes de joie traversaient l'ombre de la mort. Tout reprenait son cours comme par enchantement.
Jean-Loulou et Stivène passèrent une semaine sur le Huifi, côte à côte, sans se parler, sans se regarder, sans se voir. Le monde merveilleux des jours heureux. À Panamas-les-flots voguaient livides les vagues du progrès.


@saucissepoulet

Au pays de Rance – 2 – Le village de Troudouk

Au pays de Rance se trouvait un village qu'on appelait Troudouk. C'était une commune charmante au milieu d'une plaine toute plate où l'on avait planté trente éoliennes de 150 mètres. Les habitants, les Troudoukous, vivaient dans des maisons grises et carrés entourées de jardins ni grands ni petits.
Les Troudoukous menaient une vie calme et paisible. Ils étaient un peu particuliers et avaient deux passions : les Condeuses et les Ouafouafs. Les Condeuses étaient des machines à bruit qui leur servaient à tondre leur jardin tous les samedis. Les Ouafouafs étaient les maitres de leur maison. C'étaient eux qui mangeaient le mieux et qui avaient le droit de sortir tous les soirs les Troudoukous. En effet, il était formellement interdit aux Troudoukous de sortir sans Ouafouaf, sous peine d'être attaché à une pale d'éolienne jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Les Troudoukous n'aimaient pas deux choses : les Chochomistes et les Padchénous. Les Chochomistes vivaient loin dans une ville qu'on appelait Àpadetrovail. C'étaient des gens qui n'avait pas de Trovail et qui préféraient passer leur journée à boire du lait-fraise en écoutant de la musique baroque. Les Troudoukous détestaient les Chochomistes parce que les Troudoukous adoraient le Trovail. Tous les Troudoukous allaient chaque jour de la semaine au Trovail et fabriquaient des moufles pour Ouafouafs. À Troudouk, on disait d'eux : « Ha po de Trovail, ha pas bien ho hé ho hé ! Ha Chochomistes, ha pas gentils, ha nan nan nan ! ».
Une fois, un Chochomiste s'était perdu dans le village de Troudouk et il s'était fait lapider par les Troudoukous qui l'avaient mangé ensuite en brochette au poivron.
Les Padchénous quant à eux étaient des gens qui existaient au loin mais qu'on n'avait jamais vus à Troudouk. Certains habitants disaient qu'ils étaient de couleur rose, d'autres de couleur jaune, ce n'était pas clair. Ce qui était sûr, c'est qu'on n'aimait pas les Padchénous. Un célèbre proverbe Troudoukou disait d'ailleurs : « Ha Padchénous, ha pas chez nous ! ».
Un jour, le Père Michou mourut renversé par une Condeuse qui avait fait une sortie de route. Le Père Michou était le curé de Troudouk. Les Troudoukous étaient très croyants. Ils vénéraient un Dieu appelé Résus, qui était le dieu des Ouafouafs et dont le miracle avait consisté à faire cuire des coquillettes pour enfants.
La mort du Père Michou bouleversa le village de Troudouk. Les gens n'avaient même plus envie de passer la Condeuse le samedi et les Ouafouafs entamèrent une grève de la crotte.
Heureusement, le président de la Rance, Mama, envoya un nouveau prêtre : le Père Milou. Mais quelle ne fut pas la surprise des Troudoukous lorsque celui-ci arriva ! Le Père Milou était vert ! C'était-y pas un Padchénou par hasard ? Dans le village, les rumeurs allaient bon train : « Ha vert, ha beurk birk bark ! » disait l'un. « Ha Padchénou Milou dis donc ! » disait l'autre. « Ouafouaf, ouafouaf, ouafouaf » disaient les Ouafouafs.
Le Père Milou restait dans son église sans rien faire. On ne lui avait même pas donné un Ouafouaf pour sortir. Le temps passait, suspendu comme une pince à linge.
Puis, un jour de printemps, le Père Milou sortit dans la rue tout seul avec une drôle de machine qui faisait du bruit et qui déversait une sérénade étrange. Un air doux et apaisant, une musique enchantée.
Les gens se mirent à leur fenêtre, envoutés, intrigués, mais curieux. La mélodie s'élevait dans les airs. C'était beau, c'était chouette, on aurait dit une fête. Le Père Milou traversa toutes les rues en chantant : « A y est la Java verte, la Java y a plus belle-heu, la la la la, la la la la la la ! ». Puis il refit le chemin en sens inverse en déposant des casseroles de coquillettes devant chaque maison. Le miracle de Résus se reproduisait encore ! Et encore et encore ! Les Troudoukous sortirent tous de chez eux, unis, heureux, joyeux et sans leur Ouafouaf. Ils s'assemblèrent et dégustèrent les coquillettes dans un esprit de grande fraternité. C'était un merveilleux moment magique dans le village de Troudouk.
Tout le monde était heureux, tout le monde était croyant. Il y avait quelque chose de joli dans le pays de Rance.


@saucissepoulet

Au pays de Rance – 1 – Les Soussous

Dans un joli pays qu’on appelait la Rance, vivaient les Rançais. Les Rançais aimaient le Vinvin et rigolaient tous les jours sur leur réseau social Faceplouc. Les chefs des Rançais s’appelaient Mama et Fifou. Mama aimait chanter très fort une chanson de Kouikouine et Fifou n’aimait pas chanter.
Les Rançais vivaient heureux, ils n’avaient jamais de Soussous mais ils avaient toujours du Huifi qui leur permettait de regarder des conférences philosophiques tenus par des experts qu’on appelait les Chatounnets.
La vie était belle en Rance et les gens fredonnaient souvent : « Dousse Rance-heu, chaireupéhi de mônnenfence-heu, yé té gardé dans mafloute-heu ! ».
Les Rançais n’avaient pas trop de Trovail. Le Trovail était une invention dont on ignorait l’origine mais qui rendait les Rançais très heureux. Le Trovail consistait à aller dans un immeuble carré tous les jours de la semaine pour construire des tableaux avec des chiffres sur des ordinateurs. C’était super surtout qu’on pouvait, entre deux tableaux, consulter aussi son compte Faceplouc et continuer d’y partager de nouvelles dissertations sur le sens relatif de l’existence dans le pays des Chatounnets.
Malheureusement, le Trovail manquait de plus en plus. Mama et Fifou déclaraient toujours : « Rançaises, Rançais, Trovail hui hui vite vite, mais Soussous après après, ho la la ! Mais important ! Huifi beaucoup, Huifi extra zumba, Huifi ho hui hui hui ! »
Les Rançais en avaient un peu marre de ne pas avoir de Soussous. Les grands-parents Rançais racontaient à leurs petits-enfants qu'ils avaient connu l'époque où on pouvait avoir le Trovail et les Soussous, tout ça en même temps ! Personne ne les croyait car c'était au temps où il n'y avait pas de Huifi. Par contre, dans le Huifi, ils avaient vu une fois que Mama et Fifou avaient des amis qui nageaient dans plein de Soussous. C'était bizarre tout ça quand même.
Un jour une Rançaise qui n'avait pas de Trovail mit sur Faceplouc une vidéo complètement folle où elle disait en ces termes précis : « Ho hé ho, Soussous nous, hui hui, ho hé ho hé, Soussous ho, à nous Soussous, ho ! ». Plein de gens descendirent dans la rue et cassèrent des maisons à Soussous. C'était le bordel dis donc, les gens n'allaient plus au Trovail, même les Chatounnets n'y comprenaient plus rien.
Alors Mama prit son micro d'argent et chanta cette chanson restée célèbre : « Allons Soussous de la patrie-hi-heu, Soussous de gloire sont arrivés-hé-hé, contre nous de la tyrannie-hi-heu, les Soussous pour vous lou lou lou ! ». On n'y comprenait pas grand-chose mais on était content car dans la chanson on avait entendu le hache-tag « Soussous ». Donc les Rançais burent du Vinvin et retournèrent au Trovail.
Les jours suivants, sur Faceplouc, le hache-tag « Gé vu un Soussou dans le pré » était en tête des ventes de gondoles. Il faisait alors si beau dans le joli pays de Rance.


@saucissepoulet