mercredi 17 février 2021

Au pays de Rance – 8 – Tatatane ou Le Terrible Fantôme du web

 Il y avait au pays de Rance un village qu'on appelait Pitipitipois dans lequel vivait Tatatane, un jeune homme qui était livreur de choses et de trucs. Tatatane était grand et fin avec un ventre et un derrière et une casquette rouge. Bref, il se croyait original comme tout Rançais et faisait chaque jour son petit caca comme eux en s'essuyant avec du papier Lidoule.

Tatatane se prétendait grand voyageur mais, à Pitipitipois, la vie était triste comme une chaussette sale et seule. Il n'y avait rien. Le centre-ville était mort, les gens étaient morts, le dynamisme néo-ruralo-urbain était mort. C'était comme partout pareil. Des pavillons, de la pelouse et la télé.

Tatatane était un être que la modernité avait placé à l'avant-garde du progrès florissant. Il possédait un merveilleux ordinateur connecté au réseau Huifi fibroscopique. Il jouait à des jeux mirifiques et enchantés dans sa chambre qui sentait un peu le renfermé.

Tatatane était content. La dégustation de cordons bleuets au ferrocyanure de soude lui inspirait des vers romantiques qu'il déclamait en reniflant : « Miamiamiam hmmm bon, hmmm la la ! ». Le jour, il livrait des bidules à des gens, le soir il rentrait jouer à Fordelanaïte. Cinq jours sur sept. Tranquille tranquille. Dans l'année, cinq semaines de vacances. Tranquille tranquille. Et puis l'année d'après, la même chose. Tranquille tranquille.

Tatatane, de toute façon, n'aimait pas trop les vacances car il disait « haaaa mennui ha mennui... ». Et il retournait gaiment livrer des machins et des bazars en jouant sur son Phonephone au volant.

Tatatane était également un grand séducteur. Il avait un profil sur tous les sites de rencontre car il tenait à trouver sa moitié, comme on disait à Pitipitipois. La moitié de quoi ? Personne ne savait. Certainement pas de son cordon bleuet, aimait-il à préciser ingénument. Sans doute la moitié de rien, à moins que ce ne soit moins que rien de la moitié, ou l'inverse.

Tatatane faisait beaucoup de conquêtes sur son ordinateur. Click gauche, droite, click, clack, gauche, droite, droite, cling cling, gauche, clong clong. Il « matchait » beaucoup comme on disait dans le milieu. Ce qui signifiait : click gauche, droite, click, clack, gauche, droite, droite, cling cling, gauche, clong clong.

Sur les sites, Tatatane avait mis son meilleur profil, c'est-à-dire une photo d'un autre retouché avec une présentation écrite par un chômeur littéraire pour le prix d'un rosbif. Il faisait de magnifiques rencontres virtuelles qui lui rapportaient des étoiles qui lui rapportaient des rencontres qui lui rapportaient des biguemamatches : click gauche, droite, click, clack, gauche, droite, droite, cling cling, gauche, clong clong.

Il rencontra ainsi Princècerorose qui habitait Clamort, Faisdulogistique qui vivait à Labouboule, Instadeboneur qui résidait à Bouledogueçurmer. Ils discutaient beaucoup, s'envoyait des smileys, des photos de mains retouchées et des tutos abris de jardin.

Un jour, une de ses rencontres, Zombizumba, lui fit une proposition des plus surprenantes. Comme elle habitait près de Pitipitipois, elle lui écrivit directement : « hapaloinloin, ha jpasse, click clack, salut salut. » Se voir ??!! Tatatane ne comprit pas. Il la voyait déjà sur son ordinateur !! Elle avait une photo jolie et ses smileys étaient hyper bien gaulés. Se voir ?? Il ne comprenait pas. Zombizumba se perdit en reformulations : « zouzou, youhou, paloinloin, oué ». Mais rien n'y fit. Tatatane continuait de lui envoyer des cœurs avec des doigts.

Une semaine après, Zombizumba disparut du site Tontondeur et Tatatane se trouva fort dépourvu quand l'heure du click fut venue. Il mangea son cordon bleuet en regardant des vidéos de dauphins qui essayaient de monter des phoques.

Trois mois plus tard, alors qu'il allait livrer un bordel dans les environs de Pitipitipois, il tomba nez à nez avec Zombizumba qui ne reconnut pas Tatatane qui ne la reconnut pas. Il rentra chez lui content d'avoir travaillé la journée en jouant sur son Phonephone. Mais il manqua un virage qu'il connaissait si bien et finit aux urgences avec une jambe et un bras en moins.

Pendant son séjour à l'hôpital, son entreprise le licencia pour faute grave et le remplaça par son cousin qui cherchait du travail depuis dix ans.

Après six mois hospitalisé, il retourna enfin chez lui, satisfait de retrouver son ordinateur qui lui avait tant manqué. Il en pleura de joie et joua de la main gauche une semaine d’affilée sans à peine manger. Tout cela n'était pas grave, se disait-il. Ce qui compte, c'est d'être vivant, pensait-il en nouveau philosophe du joystick. Et il s'acheta un profil de chien avec lequel il demeura ami jusqu'à sa mort.



@saucissepoulet